Calmement mais sûrement, Haroun est en train de devenir l’un des mecs les plus drôles du pays. Interview fleuve pour mieux comprendre qui se cache derrière l’humoriste au style chic et délié.
Dans ton spectacle, tu parles beaucoup d’écologie, de la crise des réfugiés, de la transformation de nos modes de vie par la technologie, des dangers de l’ubérisation de la société… C’était un challenge d’écrire un one man show basé sur le programme de Benoît Hamon ?
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Haroun – Tu trouves que ce que je dis correspond aux idées de Benoît Hamon ? Honnêtement, je n’en ai pas conscience. C’est vrai qu’il parle aussi de transhumanisme… Je pense que les gens s’en foutent un peu de ce que je dis. Ce qui est important, c’est ce qui résonne chez eux. Je soulève des problèmes que le public interprète. Dans mon spectacle sur les élections, je parle du racisme de gauche. Il y a plein d’exemples : il suffit de faire des amalgames qui n’ont pas de sens mais bienveillants. Genre, les Noirs courent vite. C’est vrai que l’écologie me tient beaucoup à cœur car j’ai l’impression que tout le monde a bien saisi l’urgence de la situation, mais que très peu de gens adaptent leur mode de vie en conséquence. Là où je ne suis pas d’accord avec des mecs comme Benoît Hamon, c’est qu’il ne faut pas se contenter d’accuser les industriels. C’est principalement de notre faute. Je pense que le principal problème de la politique tient sur cette hypocrisie : c’est de notre faute. Mais si un homme ou une femme politique se met à culpabiliser les gens, il ou elle devient impopulaire. Moi je peux le faire, car je fais des blagues. Je peux me permettre de dire que les Français font de la merde ! L’humour est devenu une évidence pour moi lorsque je me suis rendu compte que les humoristes abordaient ces questions de société d’une manière beaucoup plus puissante et directe que les politiques. C’est vrai que c’est plus facile de faire de l’humour avec les idées de ceux qui n’ont fait que 6 %. Si tu te bases sur l’idéologie dominante, tu finis par représenter le pouvoir et plus tellement le contre-pouvoir.
La première fois que je t’ai vu c’était au Trianon, en 2016, quand tu assurais la première partie de Fary. Tu avais attendu la fin du show pour distribuer des flyers pour ton propre spectacle.
Ce n’est pas forcément un truc qui se fait beaucoup dans l’humour. J’avais besoin de promo. A cette époque, je jouais au BO Saint-Martin, une salle de 70 personnes. Je n’avais encore sorti aucune vidéo donc, c’était un bon moyen de faire connaître mon spectacle. C’est vrai que c’est moi qui distribuais les flyers… Tout simplement parce que je n’avais personne d’autre à solliciter pour m’aider et le faire à ma place.
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Quand as-tu sérieusement envisagé d’écrire un spectacle d’humour ?
J’ai commencé à écrire le spectacle en 2013 quand j’habitais à Toulouse. A l’époque, je n’avais pas grand-chose pour jouer si ce n’est un petit théâtre associatif perdu au fin fond de la ville. C’était hyper dur de le remplir, mais ça m’a énormément aidé à progresser. Je suis descendu vivre à Toulouse en 2011, à la fin de mes études de commerce. J’avais fait un petit voyage autour du monde avec ma femme. On a visité treize pays pendant neuf mois entre l’Amérique du Sud, l’Océanie et l’Asie du Sud-Est. Bon, c’était sans doute un peu trop pour neuf mois… mais il y a des pays dans lesquels tu accélères. A notre retour, on avait envie de changer de vie et on s’est installé à Toulouse. J’ai créé une boîte d’improvisation théâtrale pour les entreprises car je m’étais passionné pour l’impro pendant mes études. Une fois que l’activité était lancée, j’ai pu bénéficier d’un peu plus de confort pour me remettre à écrire sérieusement. A cette époque, ma femme faisait un peu tout : productrice, manageuse, régisseuse… Aujourd’hui elle est toujours impliquée dans le projet mais on a un vrai producteur avec une équipe solide.
A quel moment as-tu décidé de te diriger vers une activité plus artistique que B2B ?
Il y a eu un élément déclencheur. J’étais dans le bus avec ma femme et on parlait du mec qui gérait le syndicat de copropriété de notre immeuble. Tu vois le genre de mec qui s’occupe de ça à 1000 % ? Genre c’est toute sa life ? Je décrivais une discussion prise de tête que j’avais eue avec lui. Je renchérissais, j’en faisais des tonnes pour la faire marrer. Ma femme m’a dit : « Il faudrait que tu l’écrives. Il faut que tu remontes sur scène”. Pendant mes études j’avais déjà écrit et joué un petit spectacle. Tout est parti de ce délire. J’ai écrit ce petit sketch mais finalement je ne l’ai jamais joué. Quand je suis remonté à Paris en 2015, je me suis vraiment lancé. Je jouais mon spectacle une fois par semaine et je faisais le tour des scènes ouvertes pour faire connaître mon travail. J’ai commencé comme un amateur, mais j’ai toujours eu cette fibre. J’ai toujours été passionné d’humour. Gamin, je regardais tout ce qui passait, tous styles confondus.
Tu t’es inspiré d’humoristes américains ?
Pas beaucoup. Je regardais surtout des trucs français un peu chelous. J’adorais Les Deschiens par exemple. Et Monsieur Manatane ! Je ne sais pas si tu t’en souviens de ces chroniques de Benoît Poelvoorde sur Canal. C’était fou. J’ai beaucoup regardé les Inconnus évidemment et puis les cassettes audio de Coluche. J’ai découvert l’humour américain et anglais bien plus tard. Il y a des humoristes qui regardent vraiment tout ce qui se fait aujourd’hui et qui sont très au fait de l’actualité de l’humour. Ce n’est pas trop mon cas. J’ai l’impression que la fascination pour les grosses stars de l’humour américain tient principalement sur leur personne. Kevin Hart par exemple je ne comprends pas. Ça ne me fait rien. J’ai besoin de contexte. C’est vrai qu’il y a des mecs qui déchirent comme Bill Burr mais je préfère un Judah Friedlander. Lui, il parle du monde. J’aime les humoristes qui ont une conscience et une réflexion sur la société qui les entoure.
Dans ton spectacle, tu joues beaucoup sur le côté « double détente » en allant chercher un premier rire immédiatement suivi d’un deuxième, beaucoup plus subtil, qui force à réfléchir. Si bien qu’on est parfois embarrassé d’avoir ri la première fois.
Peut-être que c’est quelque chose qui vient de ma fascination pour Desproges et Coluche. Coluche m’a vraiment marqué. Je rigolais beaucoup en le regardant et en l’écoutant quand j’étais petit. Et en grandissant, j’ai capté plein de choses qui m’avaient échappées dans son écriture. Tu connais le sketch du CRS Arabe ? C’est un mec dans un bar qui raconte qu’il en a marre des Arabes. Et il y a un CRS arabe juste à côté, en train de boire un verre avec ses potes. Ce sketch m’avait choqué car il est rempli de contrepieds. C’est comme quand tu écoutes un rappeur qui écrit super bien et que tu es obligé d’écouter la chanson une trentaine de fois pour comprendre toutes les vannes, saisir toutes les punchlines. Quand j’ai découvert l’album Opéra Puccino, j’étais choqué. Toutes les chansons avaient plusieurs sens. En le réécoutant cinq ans après, j’avais une toute autre lecture du disque. Peut-être que de ce point de vue, ce ne sont pas les humoristes qui m’inspirent mais plutôt les rappeurs.
Tu écoutes beaucoup de rap ?
J’écoutais beaucoup de rap. J’aime beaucoup la chanson à textes en fait. Je suis assez radical en matière de musique. Quand il y a du texte, soit j’adhère complètement soit les paroles me dérangent tellement que je préfèrerais qu’il n’y ait que des mélodies. Je ne retiens jamais les noms de ce que j’écoute. Attends je check ma playlist… Alors en ce moment j’écoute Ablaye Cissoko, Bonga, Cesaria Evora, Ali Farka Touré, de l’électro calme aussi. J’aime les trucs doux, tranquilles, genre la kora ou le luth. J’écoute aussi du rap français actuel hein ! J’aime bien Vald, Orelsan, Hyacinthe… Et là on m’a fait découvrir Dinos, j’aime bien.
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Il y a un moment où tu incarnes un tatoueur chinois. Tu le fais parler sans accent avant d’insister sur le fait que ça n’a pas de sens d’imiter des accents étrangers. Plus tard, tu prends pourtant un accent un peu beauf quand tu campes un supporter de foot. Puis tu parles comme une caille-ra pour jouer un mec de cité qui devient avocat. Pourquoi refuser de tomber dans le lieu commun des accents alors que tu enchaînes sur des intonations qui renvoient à une origine sociale ?
Je ne suis pas contre les accents mais je suis contre les accents mal réalisés. Un jour, j’ai écrit un sketch dans lequel je jouais un Congolais. On ne l’a jamais sorti mais c’était un délire. Je jouais un détective congolais qui menait une enquête compliquée : il était perdu car le coupable s’appelait Innocent. Je suis allé voir des potes qui connaissent l’Afrique et ils m’ont expliqué les particularités de l’accent congolais. Thierno Thioune, mon metteur en scène, est d’origine sénégalaise. On sait très bien que l’accent africain n’existe pas. Imiter l’accent africain est un non-sens de ouf ! Ca n’existe pas ! Personne n’imite l’accent européen, alors pourquoi faire l’accent africain ? Pareil pour l’accent asiatique. Les gens qui imitent l’accent chinois ne font pas la distinction entre celui des Vietnamiens ou celui des Japonais. Si je me permets de faire la caillera, c’est parce que j’ai grandi avec ces mecs et je sais qu’il y a une justesse derrière. Le but c’est de donner du relief au personnage, bien plus que de me moquer d’une façon de parler. Je pense que l’équilibre se situe ici. Il y a un morceau de rap qui parle de ça d’ailleurs : Habitus de Rocé. Il parle de ce genre de tics de langage qui isolent certaines personnes. Je pense que quand on imite un accent, la seule question qu’il faut se poser c’est « Est-ce que je fais rire la personne concernée ? ». Mais en vrai, ce serait marrant de voir un avocat qui parle comme une caille-ra.
Ouais, mais il y a déjà des avocats qui sont d’authentiques racailles.
C’est vrai. Et puis au fond, Dupont-Moretti c’est une caille-ra.
Quand on te voit à la télé, on a l’impression d’un mec discret, un peu en retrait, alors que sur scène tu laisses beaucoup de place au jeu et au mime. C’était important pour toi d’incarner le truc physiquement ?
Non pas forcément. Je vois plutôt le mime comme une récréation dans le spectacle. J’adore la gestuelle, je m’éclate vraiment à faire ça. Un geste peut être aussi lourd de sens qu’une vanne. Je ne communique pas trop là-dessus car c’est un peu la cerise sur le gâteau quand les gens viennent voir le spectacle. C’est pour ça que je n’ai jamais diffusé ces séquences en vidéo. Et puis ça rend moins bien à l’image. On en parle beaucoup avec Thierno, et il m’aide beaucoup là-dessus.
Tu parles beaucoup de ton metteur en scène. Comment vous êtes-vous rencontrés avec Thierno ?
On faisait de la danse ensemble. J’ai commencé vers 16 ou 17 ans et j’ai arrêté quand je suis rentré en école de commerce. J’ai continué jusqu’au moment où il fallait choisir entre me lancer professionnellement dans le truc ou choisir une autre voie. On faisait du hip-hop, surtout du breakdance. Et puis de la danse contemporaine aussi. C’est surtout ce dernier secteur qui recrute. Thierno a continué la danse sérieusement mais on a toujours travaillé ensemble sur mes projets de one man.
La suite logique pour un humoriste qui commence à faire parler de lui, c’est souvent d’atterrir au micro d’une radio pour chroniquer l’actu. On te l’a déjà proposé ?
Ouais, j’ai fait quelques chroniques sur France Inter à l’essai. Putain, c’était tôt. Il fallait être là à 6h30. J’ai aussi fait des chroniques dans Les Terriens du dimanche mais ça ne m’a pas vraiment plu.
Ardisson…
Ouais, on a enlevé toutes les vidéos. Je n’ai vraiment pas aimé la construction de l’émission. Je ne me suis vraiment pas senti à l’aise. A la télé, généralement, ils veulent que tu sois offensif et que tu cherches la petite bête. Ça ne m’intéresse pas. Le rythme de la télé ne me va pas du tout. Je joue beaucoup avec les silences et les non-rires. Quand une vanne ne passe pas, ça me fait marrer. Mais c’est impossible à la télévision. Il y a un principe d’efficacité qui ne me convient pas.
Depuis quelques temps, tu joues à fond la carte d’Internet et des réseaux sociaux. A l’heure où tous les humoristes se sentent obligés de devenir YouTubeur, faire un spectacle sur Internet était-il un moyen d’inverser la tendance et de ramener le web sur scène ?
C’était surtout par rapport à des idées que j’avais envie de mettre en place. Je ne me suis jamais dit qu’il fallait absolument poster des vidéos ou même écrire un spectacle sur Internet. Le sketch avec Marine Le Pen est venu tout seul. La prod m’a beaucoup aidé pour réaliser les vidéos. Après avoir fait les Open du Rire de Rire et Chansons, j’ai commencé à avoir quelques contacts, notamment avec Jean-Philippe Bouchard. J’ai commencé à travailler avec lui et il avait une équipe de vidéastes. Au début, on a fait ça avec des bouts de ficelle. Pour faire le fond vert de la vidéo avec Marine Le Pen, on a étendu un drap dans un coin de bureau quand les employés étaient partis. J’aime bien cette ambiance, car ça t’oblige à être créatif. Tu te prends la tête pour trouver des solutions. Le pire pour un humoriste, c’est de se sentir installé. J’espère que ça ne m’arrivera jamais mais ça m’inquiète. La peur de me répéter est déjà là. C’est pour ça qu’il faut continuer à faire des scènes ouvertes, tester des choses et se mettre en danger. Je tiens énormément à cette simplicité car au fond c’est ça le stand-up : un micro, une scène et c’est parti.
Propos recueillis par Azzedine Fall
Haroun est en spectacle à Paris, au République, chaque fin de semaine jusqu’au mois de septembre (au moins). Toutes les dates apparaissent sous ce lien. Vous pouvez revoir son spectacle sur Internet ici.
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