Les premiers jours de la 69ème édition de la Berlinale témoignent d’un festival en prise avec le contemporain, dans ce qu’il a de plus brûlant : les violences policières, les violences sexuelles, le terrorisme…
Jamais grand festival de cinéma n’avait présenté autant de films réalisés par des femmes en compétition officielle. Avec 41% de films de réalisatrices (7 sur 17), la Berlinale fait bien mieux que Cannes (14%) et La Mostra (5%) l’an dernier et s’approche de la parité. Pour cette dernière édition de Dieter Kosslick, qui quittera la direction du festival après 18 ans de service, il s’agit d’une réussite numéraire majeure. Parmi les films de réalisatrices, on notera le présence de Elisa et Marcela de l’espagnole Isabel Coixet, premier film Netflix sélectionné à la Berlinale. Désormais, le géant du streaming a réalisé le grand chelem en s’implantant dans les cinq plus grand festivals du monde (Toronto, Sundance, Cannes, Venise et donc Berlin).
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Ozon, la polémique
Le jury, présidé par Juliette Binoche et complété par Rajendra Roy (directeur du département cinéma du MoMA), Trudie Styler (productrice de Snatch), Sandra Hüller (actrice de Toni Erdmann), Justin Chang (critique au LA Times) et Sébastien Lelio (réalisateur chilien d’Une Femme Fantastique) a assisté hier soir à la projection officielle de Grâce à Dieu, le sulfureux nouveau film de François Ozon, seul Français en compétition.
Film-dossier sur la pédophilie au sein de l’Eglise catholique, Grâce à Dieu narre la lutte de trois victimes d’abus sexuels présumés commis par un prêtre français, le père Preynat, que le cardinal de Lyon Philippe Barbarin, jugé pour cette affaire, est soupçonné d’avoir couvert. Si le film a été tourné en secret, c’est parce que l’affaire qu’il raconte est encore en cours de jugement et que François Ozon a fait le choix de ne modifier aucun nom propre dans son film. C’est ce qui a poussé l’un des avocats du père Preynat a assigné le film en référé, l’accusant de porté atteinte à la présomption d’innocence et demandant le report de sa sortie prévue pour le 20 février. L’une des personnes dépeintes dans le film, Régine Maire, médiatrice au diocèse de Lyon, a également mis en demeure le cinéaste afin qu’il retire son nom du film. En conférence de presse hier, François Ozon s’est défendu d’avoir réalisé un film « citoyen » qui ne révélait rien d’autres que ce qui était déjà présent dans les articles de presse entourant l’affaire.
La parole libérée
Dans la filmographie du réalisateur français, le film détonne. Ni portrait de femme hautes en couleurs, ni exercice de pastiche d’un grand auteur, il rappelle, dans sa tonalité sombre et son obsession pour la parole, Le Temps qui reste (2005), avec Melvil Poupaud. Outre ses qualités d’interprétation (impeccable trio Poupaud/Ménochet/Arlaud) et la précision d’orfèvre de sa structure articulant portraits individuels et portraits de groupe (l’Eglise d’un côté, l’association des victimes de l’autre), le film résonne avec notre époque en faisant de la libération de la parole son enjeu central.
Un monde sans femme pour Casey Affleck
Présenté au Panorama le même jour, Light of my Life, second long-métrage de Casey Affleck (après le mocumentaire I’m Still Here en 2010), prolonge ce souci de la protection de l’enfance du Ozon et offre en même temps un contre-point fictionnelle à la quasi-parité de la compétition officielle. Dystopie déployée sur un mode minimaliste assez réussi, le film nous plonge dans un futur post-apocalyptique où presque toutes les femmes ont été décimées par un mystérieux virus. Les rares femmes restantes sont devenues un « bien » très convoité par la masse des hommes restants. Un père (Casey himself) fait donc passer sa fille pour un petit garçon et tente de survivre. Dans une série de flash-backs, on voit sa femme défunte, interprétée par Elizabeth Moss, lui faire promettre de prendre soin de leur enfant. Ce choix d’actrice donne à Light of my life des airs de hors-champs à la série The Handmaid’s Tale. Fascinante fable méta dialoguant tant avec le soucis du festival qu’avec celui de l’époque et les accusations de harcèlement visant Casey Affleck, Light of my Life est aussi le récit de l’empowerment d’une fille sur son père. Le film s’ouvre sur une histoire que conte le père à sa fille. Il se clôt sur la même histoire re-racontée et modifiée par la fille pour donner au personnage féminin du récit une plus grande place dans la résolution de l’intrigue. Tout est dit.
Image – recyclage
Ne croyez surtout pas que je hurle de Franck Beauvais et Nos Défaites de Jean-Gabriel Périot, deux films français présentés au Forum hier, cultivent eux aussi ce lien qu’entretient le cinéma avec l’actualité en recyclant des images déjà existantes. Le premier est un montage d’extraits de films sur lequel est apposé un sublime texte du réalisateur. Il y évoque sa réclusion en pleine campagne alsacienne, sa rupture et la dépression qu’elle engendre, dépression intime qui résonne avec l’enchaînement sordide des attentats dans le monde.
https://www.youtube.com/watch?v=fYwSNv6DHLE
A bien des égards, ce film est une déclinaison cinématographique du livre Le Lambeau de Philippe Lançon. Même manière de transcender une extrême solitude à travers l’art (le cinéma ou la littérature), même capacité à mêler destin intime et destin collectif, même poésie puisée dans les rituels du quotidien. Le second, Nos Défaites, est le troisième long-métrage de Jean-Gabriel Périot. Film réalisé dans le cadre d’un atelier avec des lycéens, il montre ces jeunes rejouant à la demande du réalisateur des séquences dialoguées tirées de films politiques des années 60-70 (notamment La Chinoise de Godard ou A bientôt j’espère de Marker). Ensuite, Périot leur demande ce qu’ils pensent de l’engagement des personnages qu’ils ont incarné. Si le dispositif fonctionne à merveille, passionne autant qu’il ne révèle l’état actuel de la relation entre jeunesse et politique, il s’use un peu jusqu’à qu’un épilogue d’une force inouïe ne vienne conclure le film. Rejouant cette fois une séquence tirée cette fois d’une actualité très récentes – qu’on ne révèlera pas – et qui convoque les violences policières faites sur la jeunesse, il rompt avec le reste du film et démontre que l’engagement politique et jeunesse ne sont finalement pas si incompatibles que cela en 2019.
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