Inconnu du public, Giuseppe Conte a été nommé mercredi 23 mai Président du Conseil italien. A charge pour ce juriste de 53 ans de former un inédit gouvernement eurosceptique dans un pays fondateur de l’Europe.
Il s’en est fallu de peu pour que l’Italie bascule, une fois de plus, dans une impasse politique. En validant, le 23 mai, la nomination de Giuseppe Conte au poste de Président du Conseil italien (l’équivalent de notre Premier ministre), le président de la République Sergio Mattarella a mis fin à un suspens de 80 jours, depuis la victoire aux législatives du 4 mars de la « coalition jaune-vert » composée des populistes du Mouvement 5 Étoiles (M5S) et des nationalistes de la Ligue du Nord (LN).
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Une nomination rocambolesque
Lundi 21 mai, les dirigeants des deux partis vainqueurs – Luigi di Maio pour le M5S et Matteo Salvini pour la Ligue – étaient sortis tout sourire de leur entretien avec le président de la République au Palais du Quirinal, annonçant leur choix de ce juriste méconnu du grand public pour mener cette inédite coalition. Après deux jours de doutes, le nouveau chef du gouvernement italien a finalement promis : « Je serai l’avocat de la défense des Italiens ». Giuseppe Conte sort alors de deux heures d’entretien en tête-à-tête avec le président de la République. Deux heures au cours desquelles il a dû rassurer le chef de l’Etat transalpin sur sa capacité à former un futur gouvernement de coalition populiste, à parler au nom de l’Italie au Conseil européen et, surtout, prouver qu’il n’est pas l’homme lige du tandem Di Maio – Salvini.
Une fois encore, le pays de la commedia dell’arte n’a pas failli à sa réputation, tant le choix de ce juriste de 53 ans, père d’un enfant de dix ans avec lequel il partage un amour du football, fut rocambolesque. « Aucun des deux partis ne voulait être sous la direction de l’autre, explique Christophe Bouillaud, professeur agrégé de science politique à l’Institut d’Études politiques de Grenoble. Di Maio et Salvini ont alors trouvé la solution de prendre une personnalité liée au M5S (premier parti italien aux élections législatives) mais sans relief. »
« Mister nessuno »
Les médias italiens ne mettent en effet pas longtemps à s’interroger, à la suite de cette annonce. « Qui est Giuseppe Conte ? », titre Il Sole 24 Ore dès le lendemain de l’annonce de Luigi di Maio, le 21 mai. La Repubblica se résout de son côté à interroger l’un de ses anciens instituteurs qui le décrit comme quelqu’un de « sérieux, intelligent et jamais exubérant ». Même son de cloche à la Une de la presse internationale ; pour Le Soir, The Washington Post, The Guardian ou le Süddeutsche Zeitung, le nouveau Premier ministre italien est un « inconnu ».
« C’est ‘mister nessuno’, ‘monsieur personne’, plaisante le politologue Christophe Bouillaud. Il n’a aucune expérience politique connue. Il n’a pas été chef de parti, il n’a jamais eu de responsabilité institutionnelle, d’association ou de syndicat. C’est un simple professeur d’une bonne université qui a été choisi par le M5S lors de la campagne législative pour intégrer une liste de probable gouvernement. »
« C’est quelqu’un qui vient de la périphérie de ce pays (…), qui s’est fait tout seul, un dur », décrit au contraire Luigi Di Maio pour défendre ce choix. Giuseppe Conte est originaire d’un petit village des Pouilles, Voltuara Appula non loin de Foggia, dans cette Italie du Sud si décriée par les riches régions de Lombardie (Milan), de Toscane (Florence) ou du Latium (Rome). Fils d’un fonctionnaire municipal et d’une institutrice, cet homme à l’allure élégante, portant à chaque occasion des boutons de manchette et une pochette à la poitrine, déclare avoir « le cœur à gauche » mais est perçu par la presse italienne comme « proche du Vatican ». En outre, il affiche un honorable curriculum vitae académique.
Fact-checking
Il sort diplômé de La Sapienza, l’université romaine en 1988 après des études de droit à la Villa Nazareth, une université catholique pour étudiants défavorisés à Rome. Sa spécialisation en droit privé l’entraîne, si l’on se réfère à son CV (consultable ici et ici), à enseigner dans des facultés en Sardaigne, à Rome ou à Florence. Paradoxalement, c’est de ce document imposant (dix-huit pages tout de même) que la polémique va poindre. Sitôt le nom de Giuseppe Conte rendu public, le document se retrouve fact-checké par de nombreux journalistes.
Dans la soirée du 21 mai, Jason Harowitz, chef du bureau italien du New York Times tweete l’article biographique préparé par le quotidien américain : « Rencontrez le nouveau Premier ministre italien, peut-être » au ton énigmatique.
Meet the new Prime Minister of Italy, maybe. https://t.co/NnwTDVOUGV
— Jason Horowitz (@jasondhorowitz) May 21, 2018
Dans un second tweet, il développe : « Giuseppe Conte, le potentiel prochain leader italien, a écrit qu’il a ‘étudié’ à la NYU [New York University, ndlr], qui répond : ‘Ce nom n’apparaît dans aucun de nos registres, que ce soit comme étudiant ou comme membre du personnel’. »
Giuseppe Conte, potentially Italy’s next leader, wrote that he “perfected and updated his studies” at NYU, which, when asked, said “A person by this name does not show up in any of our records as either a student or faculty member.” https://t.co/NnwTDVOUGV
— Jason Horowitz (@jasondhorowitz) May 21, 2018
La coalition « antisystème » menacée par un CV bidonné ? La machine s’emballe et des démentis similaires parviennent de l’université de Duquesne, de l’université de Malte ou de l’Internationales Kulturinstitut de Vienne. Les polémiques s’enchaînent. En 2013, Giuseppe Conte aurait défendu les intérêts d’une famille qui voulait faire soigner leur fille, malade, suivant un protocole controversé qui s’est révélé être une fraude scientifique, la « méthode Stamina« .
Mattarella ne voulait pas de ce gouvernement
Une période de doutes s’ouvre alors, qui ne serait pas pour déplaire au président de la République, Sergio Mattarella, issu des rangs des Démocrates chrétiens (centre gauche). « Il ne voulait pas de ce gouvernement, explique Christophe Bouillaud. Il pense que ces deux partis sont dangereux alors que lui est un europhile convaincu. » Ses marges de manœuvres restaient pour autant compliquées : « Si Mattarella avait refusé la solution proposée par ‘la coalition jaune-vert’, il aurait risqué de se retrouver mis en accusation par le M5S et la LN, poursuit le politologue. De nouvelles élections auraient suivi, qui auraient pris l’aspect d’un référendum contre lui, qu’il aurait très certainement perdu. »
Le président de la République s’est donc résolu à charger Giuseppe Conte de lui proposer un futur gouvernement. On devrait d’ailleurs y retrouver Luigi di Maio et Matteo Salvini, pressentis respectivement pour occuper les portefeuilles du Travail et de l’Intérieur. L’opposition n’a pas tardé à railler cette nomination à l’image de l’ancien chef du gouvernement Matteo Renzi : « Si Conte s’est proposé de devenir l’avocat de la défense du peuple italien, nous nous constituons partie civile ».
De nombreux chantiers attendent le 43e Premier ministre italien (depuis la proclamation de la République en 1946), résumés dans un « contrat pour un gouvernement de changement » en 29 points. Selon Le Monde, qui s’en est procuré une copie, il s’agit d’un « curieux patchwork sans véritable cohérence idéologique (…) dangereusement précis pour définir les contours d’un tour de vis sécuritaire sans précédent, mais restant parfois allusif sur certains sujets explosifs. (…) Suffisamment flou pour ouvrir la porte à toutes les interprétations, ce texte est en revanche très clair sur les ennemis qu’il désigne (…) les 500 000 demandeurs d’asile (…). Et très bientôt Bruxelles et les partenaires européens de l’Italie, sommés d’accepter les exigences italiennes sous peine de déclencher une très périlleuse confrontation politique ».
Selon le Corriere della Serra, Giuseppe Conte aurait confié à des proches, en début de semaine qu’il n’avait « pas peur d’assumer les fonctions qu’on [lui] confierait ». Une méthode Coué qu’il a également appliqué sur son compte What’sApp, en reprenant une citation de John Fitzgerald Kennedy : « Chaque réussite commence avec la décision d’essayer ».
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