Dans l’histoire de la musique jamaïcaine, Derrick Harriott fait, si l’on ose dire, pâle figure, comparé aux sir Coxsone et sir Duke Reid, pionniers du genre. Sur le terrain de la création sonore pure, on lui préfère sans hésiter Lee Perry et King Tubby. Pourtant, ce producteur-compositeur-interprète a profondément marqué la période charnière où l’on […]
Dans l’histoire de la musique jamaïcaine, Derrick Harriott fait, si l’on ose dire, pâle figure, comparé aux sir Coxsone et sir Duke Reid, pionniers du genre. Sur le terrain de la création sonore pure, on lui préfère sans hésiter Lee Perry et King Tubby. Pourtant, ce producteur-compositeur-interprète a profondément marqué la période charnière où l’on voit le rocksteady perdre toute sophistication pour devenir le reggae ; si bien que cette compilation est à la fois une délectable leçon d’histoire et un hommage approprié.
Harriott aura au milieu des années 60 accéléré le déclin du ska, d’abord en important sur l’île les nouveautés soul en provenance des Etats-Unis, puis en adaptant à la mode locale certains succès de cet inépuisable filon. Sa version personnelle du Message from a Black Man des Temptations ou celle du Shaft d’Isaac Hayes par les Chosen Few éclairent ces qualités essentielles qui vont lui permettre de survivre dans le milieu féroce du business insulaire : opportunisme, intelligence sonore, goût très sûr. Il met la voix de Junior Murvin sur son orbite angélique, permet à Horace Andy de trouver un second souffle après son passage chez Studio One et lance Dennis Brown dans le grand bain. Après le succès de Stop that Train de Keith & Tex et autres standards du rocksteady, sentant le vent tourner, il ouvre la porte à des artistes que d’autres producteurs rejettent, comme Earl Sixteen, viré du groupe de Boris Gardiner pour son look et ses convictions rastas.
C’est l’autre mérite de cette compilation que de témoigner d’un décisif changement d’époque : en 1972, Big Youth fait avec Cool Breeze ? plus explicitement que Bob Marley ? l’apologie de la fumette, et nul ministre de l’Intérieur pour venir lui confisquer son scooter.