Le désir d’une femme veuve pour son jardinier dans l’Amérique puritaine 50’s. Expressionnisme des sentiments, virulence politique folle et raffinement plastique : tout le génie de Sirk.
Les années 1950 dans une petite ville de la côte est des Etats-Unis. Une veuve s’éprend de son jardinier plus jeune qu’elle. Ce qui intéresse Sirk dans Tout ce que le ciel permet c’est le scandale des apparences. De l’intérieur Cary Scott (Jane Wyman) et Ron Kirby (Rock Hudson) vivent un amour passionnel, évident et sans failles, mais cet amour est perçu de l’extérieur comme quelque chose d’offensant, qui met à mal la société, rediscute ses valeurs, ses règles.
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C’est aussi le scandale du corps de Rock Hudson qui pénètre la réception du Country Club : un “séduisant tas de muscles”, grand, bronzé, hypersexualisé. Un corps qui explose les normes, un immense arbre planté au milieu d’une réception trop policée. La beauté du film tient à ce que Sirk, en maître du mélodrame, spatialise cette opposition entre l’amour et le conformisme, entre l’immensité des sentiments et la petitesse des règles. Aux intérieurs étriqués de représenter la société : maisons, salons, réceptions. La maison américaine filmée comme une boîte dans laquelle Wyman se tient prisonnière. Il y a aussi la boîte-télévision ; la boîte-voiture. Au-dehors, les saisons flamboient. Sirk filme moins l’hiver ou l’automne que l’idée qu’on s’en fait : explosion de blanc, d’ocre. Cet expressionnisme de la nature est en fait un expressionnisme des sentiments qui ne demande qu’à déborder du cadre : au début du film on élague les arbres pour les rendre conformes à la taille des maisons, et quand l’amour surgit il n’en est plus question.
Que reproche-t-on aux veuves du cinéma et de la littérature ? D’avoir survécu à leurs maris et de refuser de les rejoindre, ne serait-ce que symboliquement, en s’enterrant vivantes. Douglas Sirk s’est exprimé sur la référence cachée, bien que visible, du film, Walden ou la Vie dans les bois d’Henry David Thoreau : “En définitif, c’était le vrai sujet du film – mais personne ne l’a vu, sauf le directeur du studio.” Pourtant le livre est bien là, et Cary en lit quelques passages. Mais au-delà de cette séquence, il faut voir Tout ce que le ciel permet comme une adaptation (la plus fidèle) du récit de Thoreau : l’amour pareil à une vie d’ermite dans les bois. L’amour comme faculté à se rendre incompréhensible aux autres et à échapper au “désespoir tranquille”.
Kirby retape une vieille grange pour y loger son amour. Un foyer qui ne serait pas une boîte, avec un élément de décor magnifique sur lequel se termine le film : une immense baie vitrée qui fait entrer la nature dans la maison. La baie vitrée répond au petit écran étriqué de la télévision qui, au lieu d’ouvrir sur le monde, nous renvoie notre propre reflet.
Deux ans plus tard, Leo McCarey proposera un remake de Elle et lui qui à beaucoup d’égards, prolonge Tout ce que le ciel permet. Dans les années 1950, le cinéma est menacé par la télévision et pour les cinéastes, cette menace est philosophique : les passions et les sentiments se vivront désormais sur petit écran. Devant ce risque de voir les affects rétrécir et s’étioler, l’un filme un amour grand comme l’Empire State Building, l’autre comme un spectacle de la nature. Ils rétablissent le gigantisme affectif, c’est-à-dire qu’ils font du cinéma.
Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk (E.-U., 1955, 1 h 29, reprise)
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