A seulement 17 ans, il a attiré le regard médiatique pour exprimer, en musique, une lutte trop souvent censurée par les autorités brésiliennes. Rencontre.
“Tamos aqui na luta, sempre alto astral / Que é tudo por direitos, queremos mais respeito / Guarani mbya, jaje’oi na luta / Mando com respeito porque esse é meu lugar” (“Nous sommes ici dans la lutte, toujours motivés / Pour nos droits, nous voulons plus de respect / Guarani mbya jaje’oi dans la lutte / Je vous dis ça avec respect, car ici c’est chez moi.”)
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Debout dans son “aldeia”, le petit village de Krukutu au fond de la forêt de Parelheiros, à deux heures au sud de São Paulo, Wera Jeguaka Mirim entame un rap issu de son premier album, My blood is red. Portant fièrement la coiffe ornée de plumes bleues de sa tribu, celle des Guarani-Kaiowá, l’adolescent change de visage. Celui qui, quelques minutes plus tôt, racontait timidement son histoire, assis dans le hamac familial, le regard fuyant et un léger sourire en coin, entonne à présent, déterminé, un texte revendicatif pour la défense de son peuple.
De la censure à la visibilité
Plus connu au Brésil sous son nom d’artiste, Kunumi MC, le jeune homme s’est fait connaître pour la première fois en 2014 lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football, dépliant sur le terrain une banderole rouge où figurait en lettres noires le mot « demarcação », appel à la reconnaissance et la délimitation des terres indigènes. Il n’avait alors que 14 ans et ces images, censurées par la télévision brésilienne, avaient été relayées par les chaînes du monde entier.
https://www.youtube.com/watch?v=59naQKUKMRY
“Avant la cérémonie, lorsque le chef de la tribu m’a confié la banderole, j’ai vu dans ses yeux que ça comptait pour lui. Mais à l’époque, je n’avais pas conscience que mon geste était si important pour notre peuple”, raconte Kunumi MC.
La démarcation de leurs terres est en effet au coeur des revendications indigènes. Pour la plupart expulsés de leurs villages et massacrés ou réduits en esclavage à l’arrivée des colons portugais au XVIe siècle, les autochtones ont vu leur territoire ancestral presque réduit à néant. Une lueur d’espoir a surgi à la fin de la dictature militaire, lorsque la délimitation a été inscrite dans la Constitution de 1988, permettant de rendre “inaliénables et indisponibles” les territoires traditionnellement occupés par les Indiens et obligeant le gouvernement à les protéger.
Mais depuis cette date, ces droits n’ont cessé d’être bafoués, et les terres toujours envahies à des fins de construction ou de culture intensive. “Au Brésil, personne ne se préoccupe vraiment de la question indigène. La majorité des parlementaires sont liés au milieu de l’agrobusiness ou ont eux-mêmes de grandes propriétés agricoles”, abonde Olívio Jekupé, le père du rappeur. Nous avons le droit à la démarcation mais nous devons tout de même lutter pour que ce droit soit respecté”. Le combat est ardu : rarement le lobby ruraliste brésilien n’a été aussi puissant.
https://www.youtube.com/watch?v=lS57jZVY-vM
“Pour écrire, je pense d’abord à mon peuple »
Le Mondial 2014 va ainsi marquer un tournant dans la vie de Kunumi MC : quelques mois plus tard, il compose ses premières chansons. A travers ses textes, le jeune homme aujourd’hui âgé de 17 ans devient rapidement l’un des plus jeunes porte-voix des droits des indigènes au Brésil.
“Pour écrire, je pense d’abord à mon peuple, à notre lutte, au génocide, aux préjugés dont nous sommes victimes. C’est ça qui me donne l’inspiration”.
D’autant que l’engagement de Kunumi se situe dans la droite lignée de celui de son père, l’un des premiers auteurs de littérature autochtone du pays. A sa manière, le rap, et avec son époque, celle des réseaux sociaux, le jeune musicien continue le même combat ancestral, par d’autres moyens. “Au départ, j’écrivais de la poésie, comme mon père, et je me suis rendu compte que mes textes collaient bien avec de la musique”, raconte-t-il humblement.
Premier rappeur en solo, Kunumi s’inspire essentiellement des deux premiers groupes de rap indigène du Brésil, Oz Guarani et Brô MC’s. Et comme eux, le jeune Guarani utilise les réseaux sociaux pour toucher une audience plus large et diffuser son message. Sur sa page Facebook, il partage avec ses 2300 abonnés ses projets militants, ses musiques, ou des photos plus personnelles. Le rappeur-compositeur s’est d’ailleurs fait repérer début 2017 par des producteurs anglais de la société Needs Must Film, connue pour ses films engagés. Avec eux, il acquiert d’autres moyens pour la réalisation de ses clips, et commence à enregistrer en studio de véritables albums, dont le dernier, Todo dia é dia do Indio (“C’est tous les jours le jour des Indigènes”), sorti début 2018.
Les luttes d’un « Brésil volé »
Mais Kunumi MC ne tire pas sa force des seuls groupes indigènes. Grand fan de Criolo, l’un des rappeurs les plus célèbres du Brésil, issu de la banlieue sud de l’Etat de São Paulo, il voit une proximité évidente entre la lutte des indigènes et celle des noirs.
“Le rap brésilien des noirs et des indigènes parle du Brésil volé. Les noirs sont descendants d’esclaves, mais les indigènes aussi ont été réduits en esclavage. À cette époque déjà, ils se sont unis. Aujourd’hui, ils s’unissent dans cette culture”.
Une culture musicale et un mode de revendication qui étaient pourtant loin d’être évidents, et qui vont valoir de nombreuses critiques au rappeur, tant de la part de Brésiliens non indigènes, que de membres de sa propre tribu. “Du côté indigène, on a vu ça comme un reniement de notre identité. Du côté des non-indigènes, on m’a dit que je n’appartenais pas à ce monde. Mais je n’ai rien volé à personne. J’ai choisi le rap car c’est une musique et une culture de la lutte”. Et comme pour prouver qu’il s’adresse à tous, Kunumi MC écrit ses chansons en mélangeant portugais et tupi, sa langue natale.
Lui-même réticent au début, Olívio Jekupé reconnaît d’ailleurs la portée des textes de son fils.
Aujourd’hui, le rap facilite la lutte car beaucoup de jeunes aiment ça. D’autant qu’avec Internet, ils peuvent en écouter gratuitement. C’est une arme importante”, analyse-t-il avant d’ajouter, fièrement : “Mon fils joue de la guitare, il compose, il rappe. La musique a toujours existé dans le village mais c’est une arme dont il a su s’emparer. J’étais un peu effrayé au départ, mais désormais j’en écoute moi-même, car je me rends compte que l’important, ce sont les paroles. Aujourd’hui, le disciple a dépassé le maître”.
Si Kunumi MC ne remplit aujourd’hui pas des stades, il choisit en revanche les lieux où il se produit en spectacle. Il y a quelques mois, il s’est rendu dans l’Etat du Maranhão, là où un mois plus tôt, des agriculteurs avaient attaqué violemment une tribu indigène, armés de fusils et de couteaux. “J’ai été très touché par ce massacre. Là-bas, ce qu’ils vivent est encore pire mais on en parle peu au Brésil. J’ai voulu leur donner cette visibilité”, explique simplement le jeune artiste. Peu importe la notoriété, le moteur de son art restera la défense des peuples indigènes.
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