A 84 ans, cette activiste et journaliste est l’une des plus grandes voix féministes du monde. Son combat, Gloria Steinem le résume dans son autobiographie qui vient de sortir : “Ma vie sur la route. Mémoire d’une icône féministe”. L’occasion de parler du voyage, des groupes de paroles, du #MeToo, et de la future élection présidentielle américaine.
Une combattante itinérante. C’est comme ça que se définit Gloria Steinem, icône – parfois même qualifiée de “rock star”- féministe américaine. De sa lutte pour l’avortement, en passant par son combat pour l’égalité, à son enquête undercover auprès des Bunny du Playboy club de New York… L’écrivaine, journaliste, conférencière et militante publie ses mémoires. Ma vie sur la route. Mémoires d’une icône féministe (Ed. Harper Collins), un ouvrage aussi éclairant que bouleversant, révèle combien le voyage est une nécessité absolue pour le combat des droits des femmes.
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Outre-atlantique, elle est aussi une référence pour les figures féministes de la pop culture telles que Lena Dunham, Amy Schumer ou encore Emma Watson – qui d’ailleurs a signé la préface de la réédition de son ouvrage précédent Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes. Gloria Steinem a également parfois interprété son propre rôle dans des sitcoms mordantes comme The L Word ou The Good Wife. De passage à Paris pour la promotion de son autobiographie, nous l’avons rencontrée.
Dans votre livre vous écrivez : “En 20 ans je n’avais pas passé plus d’une semaine d’affilé chez moi, et ce jour là j’ai compris que j’étais tombée amoureuse de la route.” En quoi le voyage sert-il le féminisme ?
Gloria Steinem – Je pense que l’on peut servir le féminisme de bien des manières. Dans mon cas, parce que j’ai été journaliste j’ai commencé à en parler publiquement assez rapidement. Et c’est d’ailleurs comme ça que je suis devenue une grande voyageuse. Le voyage a une symbolique particulière, étant donné que la route est une aventure masculine, tandis que les femmes sont supposées rester à la maison. C’est en quelque sorte un nouveau domaine à conquérir pour les femmes. Mais nous pouvons servir le féminisme et la justice, peu importe où nous nous trouvons.
En quoi les groupes de paroles de femmes ont-ils souvent bouleversé le féminisme ?
Je pense qu’ils ont réellement donné naissance au féminisme. Autrement, nous aurions, sans doute, continué de penser que ce que la société nous a appris à propos du rôle des femmes était vrai. Et ce sentiment de ne pas être un être humain à part entière serait perçu comme était simplement de notre faute. Je me souviens de ce moment où pour la première fois j’étais assise dans des petits groupes composés de femmes, et où l’une s’est mise à parler de sa condition. Une autre, très touchée par ce qu’elle venait d’entendre, a simplement dit : “Oh. Je ressens exactement la même chose”. Et ce moment où vous découvrez que vous n’êtes en réalité pas seules est véritablement crucial.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du féminisme depuis vos débuts de militante dans les années 60 ?
C’est finalement encore un peu la même chose : nous sommes des êtres humains, toutes uniques, et le genre est une invention. C’est une notion encore très puissante dans la société, mais elle n’a pas toujours existé et ne doit pas forcément exister. En tant que féministe, nos positions viennent de ce que l’on appelle le patriarcat – un système qui essaie de contrôler la reproduction, nous contrôler physiquement et dans lequel s’entrelace le racisme. Ces bases sont restées plus ou moins les mêmes à travers le temps, mais je pense que ce qui change c’est que nous avons appris combien tout est connecté : la violence envers les femmes est le plus grand indicateur du degré de violence dans tout un pays. Car elle normalise l’idée selon laquelle un groupe est né pour dominer un autre.
De quoi l’affaire Weinstein a-t-elle été le signe selon vous ?
Harvey Weinstein est devenu le symbole de l’agression des femmes au quotidien. Il a utilisé son pouvoir – et c’est vraiment plus de pouvoir que de sexe dont il est question ici – afin de s’imposer physiquement et sexuellement sur des actrices. Et lorsqu’elles l’ont rejeté, il a détruit leur carrière en disant simplement : “Oh elle est un peu difficile, ne l’engagez pas”. Il a eu un impact terrible sur la vie de plusieurs dizaines d’actrices. Le mouvement MeToo a permis aux femmes de dire la vérité, de parler haut et fort de leur expérience en tant que femmes, partout dans le monde.
Mais ce n’est pas nouveau : cela fait environ 40 ans que les femmes américaines ont essayé de raconter ce qui leur était arrivé, et à parler de harcèlement sexuel. Catharine MacKinnon, une très grande avocate, a fait inscrire cette notion dans la loi contre la discrimination sexuelle en 1986. D’autres cas célèbres ont permis de libérer la parole comme celui d’Anita Hill, cette universitaire qui a témoigné devant le Sénat en 1991 pour dénoncer les remarques à caractères sexuels que lui avait fait son supérieur, fraîchement nommé juge à la Cour Suprême. Même si elle a perdu son procès, son témoignage diffusé par les télévisions du monde entier a profondément permis d’éveiller les consciences.
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En janvier 2018, une centaine de femmes ont publié dans le journal Le Monde une tribune pour défendre “la liberté d’importuner”. Comment comprenez-vous cette réaction ?
J’ai lu des articles parlant de cette tribune, mais je n’y ai pas eu accès en anglais. Et je n’ai pas non plus parlé avec les signataires. Mais ça sonne surtout comme un énorme malentendu, car le harcèlement sexuel n’est en aucun de la drague ou du flirt. C’est totalement différent.
Dans votre discours à la Marche des femmes de Washington du 21 janvier 2017, vous avez dit : “Je vous remercie d’avoir compris que parfois, nous devons faire suivre nos convictions d’une réelle action physique. Parfois, appuyer sur ‘envoyer’ n’est pas assez.” Que pensez-vous du militantisme qui se développe sur les réseaux sociaux ?
C’est un atout un énorme. Les femmes peuvent obtenir facilement des informations concernant par exemple leur sécurité, et surtout elles peuvent se connecter entre elles. Mais ça n’est clairement pas assez puisque nous ne pouvons pas faire preuve d’empathie les uns envers les autres à moins que nous soyons physiquement présents. C’est malheureusement vrai puisque nous produisons de l’ocytocine, cette hormone qui nous permet d’être en empathie, à moins d’être ensemble. Aux Etats-Unis en tout cas, la solitude, la dépression, le suicide, a augmenté avec l’émergence d’Internet parce que les gens passent tout leur temps à regarder un écran plutôt que d’être réellement au contact d’autres êtres humains.
L’empathie est fondamentale pour l’humanité. Si quelqu’un tient un bébé dans ses bras, il sécrète de l’ocytocine qui permet immédiatement de créer un lien. Ou si vous voyez quelqu’un avoir un accident, vous voulez forcément l’aider même si vous ne le connaissez pas. Je ne pense que pas l’humanité aurait survécu sans empathie. Être seul devant un écran, ou même des livres – même si j’adore les livres ! – peut contribuer à l’isolement. Il est primordial de passer autant de temps physiquement les uns avec les autres que nous en passons devant un objet.
Est-ce que ces idées se diffusent au-delà du milieu intellectuel dans l’Amérique de Donald Trump ?
Oui, bien sûr. Enfin, bien souvent elles démarrent dans les milieux intellectuels puis elles se diffusent un peu partout. Les femmes d’Hollywood ont été les premières à prendre la parole dans les médias à propos du harcèlement sexuel. Le premier groupe de personnes qui leur a écrit en soutien étaient des travailleuses agricoles migrantes car elles avaient été harcelées sexuellement dans les champs. C’était très émouvant, elles ont écrit une lettre de soutien qui a été publiée dans le New York Times juste à côté de la tribune des actrices.
Cette année 127 femmes ont fait leur entrée au Congrès. Peut-on imaginer voir des femmes démocrates se lancer dans la course à la présidence ?
Je ne sais pas si l’Amérique est prête à élire une femme présidente, même si cela devrait être le cas bien sûr. Tant que les femmes restent celles qui éduquent, en majorité, les enfants comparé aux hommes, l’autorité féminine sera toujours associée à l’enfance. Les mentalités ont évolué, mais je ne sais pas si cela a assez changé.
Quelles sont alors les clefs du changement d’après-vous ?
La clef majeure, sur le long terme, est que les hommes s’occupent de l’éducation des enfants, tout autant que les femmes. Et que l’autorité des femmes en dehors de la maison soit équivalente à celle des hommes. Mais cela va prendre du temps. Et je ne sais pas si la société américaine est prête à voir une femme à cette position.
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