Chevillée à un nouveau corps raccord avec son essence transitionnelle, la deuxième saison d’Altered Carbon poursuit son exploration de la dissociation corps – esprit sous un angle plus intime, mais comprime encore ses émotions et ses questions dans une enveloppe bodybuildée.
Cet article comporte des révélations sur l’intrigue d’Altered Carbon.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Loin du battage promotionnel qui avait accompagné le lancement de la série en 2018, la deuxième saison d’Altered Carbon a été mise en ligne sur Netlix dans une relative discrétion. Toujours adaptés, avec une certaine licence scénaristique, de la saga cyberpunk de Richard K. Morgan (publiée entre 2003 et 2005 sous le titre français Carbone modifié), les nouveaux épisodes ont atteint nos écrans comme un éléphant marchant sur la pointe des pieds.
Présentée comme l’une des séries les plus chères de l’histoire, cette production ambitieuse devait attirer les amateurs de science-fiction dans l’escarcelle de la plateforme et s’imposer comme le nouveau standard télévisuel du genre. Marqué par des critiques mitigées et un succès public en deçà des attentes (on précisera cependant que Netflix ne communique pas sur ses chiffres d’audience), le mastodonte orchestre son retour avec humilité, loin des projecteurs.
Retour douloureux au bercail
Trente ans après l’affaire Bancroft, Takeshi Kovacs, le dernier survivant des Diplos (un corps d’élite massacré lors d’une révolte planétaire), est capturé par une chasseuse de primes pour le compte d’un riche politicien qui souhaite l’employer comme garde du corps. Parachuté sur Harlan’s World, une planète soumise à un régime autoritaire et liée à son passé tourmenté, mais également dans une nouvelle enveloppe corporelle spécifiquement conçue pour le combat, le mercenaire croisera la route d’un fantôme, la rebelle Quellcrist Falconer, avec laquelle il a vécu une grande histoire d’amour des siècles auparavant.
Des siècles, oui, car dans l’univers d’Altered Carbon, les progrès scientifiques ont permis aux humains de stocker leur esprit dans un Stak, une sorte de disque dur implanté dans leur nuque, et de changer d’enveloppe corporelle (sleeve) à loisir. L’immortalité ainsi conquise se doublant d’une marchandisation des corps, d’un fossé social profond et d’expériences limites sur le plan éthique.
https://youtu.be/_MzbLQBeR9Y
Une copie presque conforme
Travaillée par des questionnements philosophiques chevillés à un postulat de dissociation corps – esprit raccordant au courant transhumaniste (voire posthumaniste) qui travaille la science-fiction contemporaine, la première saison souffrait d’une intrigue trop complexe et peinait à laisser affleurer l’émotion derrière la démonstration de force. Elle séduisait pourtant par la densité de l’univers qu’elle déployait dans le sillage de son héros taciturne et violent, incarné par un Joel Kinnaman magnétique comme une projection futuriste de héros de film noir – les muscles en plus.
Toujours aussi soignée sur le plan visuel et électrisée par des scènes de combat virtuoses, la deuxième saison en reproduit le schéma presque à l’identique, dupliquant ses motifs et personnages secondaires avec des effets de variation cosmétiques. Si la copie semble parfois sortir d’une imprimante à l’encre diluée, elle séduit en embrassant pleinement le fil romantique esquissé dans les meilleures scènes de la première saison : plus encore que l’enquête sinueuse et les complots diaboliques, c’est la possibilité aussi ténue que folle de pouvoir raviver une grande histoire d’amour qui stimule le récit.
D’un corps à l’autre
Mais la spécificité de ce nouveau chapitre réside dans son caractère transitionnel, cette fois appliqué à sa propre chair : exit le sculptural Joel Kinnaman, remplacé par le svelte Anthony Mackie (Avengers), qui prolonge l’esprit de Takeshi Kovacs dans une nouvelle enveloppe physique. En changeant ainsi d’acteur, et donc de corps, la série projette ses questionnements philosophiques dans la matière même de ses images, embrassant la fluidité de corps et d’esprit qui les travaillent par le biais de l’incarnation.
Si l’on se penche un peu sur le parcours de Laeta Kalogridis, créatrice et principale scénariste du show, on sera frappé par l’insistante avec laquelle ces motifs travaillent ses récits. Productrice déléguée sur Avatar, la fable post-humaniste hantée de James Cameron, elle a participé aux scénarii de Terminator : Genysis, dans lequel Arnold Schwarzenegger affrontait son double rajeuni, et d’Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez, dont le personnage principal pourrait figurer une version jeune et candide de Takeshi Kovacs.
La mémoire dans la peau
Délaissant quelque peu le thème de la marchandisation des corps qui structurait la première saison en ramifications politiques et sociales, les nouveaux épisodes abordent l’humanité augmentée, et potentiellement immortelle, sous un angle plus intime. Traversant les siècles en glissant d’une enveloppe à une autre, les vampires qui la peuplent semblent ployer sous les poids des souvenirs : « Quand on a vécu aussi longtemps, chaque endroit qu’on a connu est peuplé de fantômes », marmonnera Kovacs en posant le pied sur Harlan’s World. Et ces âmes vagabondes usées au fil du temps de s’inquiéter de leur propre périssabilité (à force d’être copiées, ne perdent-elles pas en qualité, à l’instar de tous les fichiers numériques ?) ou de renouer, parfois violemment, avec une mémoire instinctive de la chair.
Face à ces êtres sans âge décollés de leur nature humaine, la série tire également le fil contraire de créatures de synthèse (au premier rang desquels l’hologramme numérique qui accompagne le héros au cours de ses aventures) développant une forme de sensibilité, une perméabilité et une attache au monde, par le biais de souvenir qu’ils chérissent.
On regrette toutefois que ces belles idées soient noyées dans un régime d’action survitaminé qui en dilue quelque peu les potentialités philosophiques et sensibles, et nous laisse avec une drôle d’impression, celle d’une série qui évoluerait un peu à côté de son corps, en en singeant les contours et les mouvements avec précision sans en pénétrer réellement le cœur.
Altered Carbon saison 2, de Laeta Kalogridis, avec Anthony Mackie, Renée Elise Goldsberry, Simone Missick… Disponible sur Netflix.
{"type":"Banniere-Basse"}