Longtemps perçu comme l’écrivain génial des contradictions de l’Amérique, Philip Roth avait donné une tonalité plus métaphysique à ses derniers romans. Son dernier livre, Némésis, dit tout de ses dernières obsessions.
C’était en 2012, une après-midi de septembre, Philip Roth m’accueillait chez lui pour parler de son dernier roman, Nemesis. Roth vivait dans l’Upper West Side à Manhattan, dans un vaste appartement minimaliste, sans les fioritures ni autres bibelots dont nous avons souvent besoin pour nous rassurer. Personne ne savait encore que Némésis, ce roman cruel au titre prémonitoire, serait son dernier livre. Il nous l’avoua pendant l’entretien. Il n’en avait encore jamais parlé à personne. Il nous dit alors qu’il en avait assez de cette sorte d’esclavage qu’avait été l’écriture dans sa vie. Maintenant, il avait envie d’être heureux, tout simplement, ce qui signifiait pour lui passer le reste de sa vie à ne plus s’imposer cette rude bataille avec les mots qui était devenu son quotidien depuis son premier livre, le recueil de nouvelles de Goodbye Columbus (1959).
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Six ans après cet entretien, Roth est mort en ayant tenu parole : il n’a plus rien publié. Il aidait son biographe, paraît-il, autant qu’il le pouvait. Némésis serait donc son dernier roman, comme une signature de toute son œuvre, comme peut-être même, un testament : ce que voulait nous transmettre Roth. Et Némésis est un roman sur la mort, et la part d’incontrôlable que comprend toute vie, à quel point c’est le hasard qui nous mène plus que nous le pensons. Philip Roth ne croyait pas à la psychanalyse, mais à la chance ou la malchance. Némésis appartient à un groupe de quatre livres intitulé “ Nemeses” (avec Un homme, Indignation, Le Rabaissement), qui tous abordent le sujet de la mort d’un point de vue différent.
Un homme et un écrivain farouchement libres
Si Philip Roth a longtemps été vu comme le grand écrivain américain par excellence, c’est parce qu’il fut aussi longtemps perçu comme celui qui savait, mieux que les autres, capturer dans ses livres tous les non-sens de l’Amérique, toutes ses failles. Né le 19 mars 1933 dans le New Jersey, Roth a grandi à Newark. Dans Le Complot contre l’Amérique, il imaginait le nazi Charles Lindbergh remporter les élections américaines pendant la guerre, pour mieux souligner l’antisémitisme de l’Amérique (mais aussi raconter son enfance à Newark) ; dans La Tâche, c’est le politiquement correct des facs américaines qui en prenait un coup et la question du racisme aux States.
S’il y a un dénominateur commun à tous les romans de Roth, c’est de ne pas adhérer – à un clan, à des règles, à des conventions… Roth était un homme et un écrivain farouchement libre. Dès le début, son premier roman, Portnoy et son complexe, écoulé dans le monde à des millions d’exemplaire, mettant en scène un jeune Juif porté sur la masturbation, créera une telle consternation dans la communauté juive américaine qu’elle accusera Roth d’être antisémite.
Face à la Némésis
Pourtant, l’écrivain génial de l’Amérique, que l’on adorait aller interroger sur son pays telle une pythie, peut-être même la dernière, avait viré plus métaphysique que politique dans ses derniers textes. Philip Roth vieillissait, et son œuvre devenait hantée par la maladie et la mort, l’aléatoire de toute vie et sa fin inéluctable. Le reste…
Le fait qu’il soit, année après année, pressenti pour le prix Nobel sans jamais l’avoir reçu était devenu une sorte de private joke. Il nous confiait que l’enfant en lui ne pouvait s’empêcher de le désirer chaque année, mais qu’il redevenait adulte dès que le nom de l’heureux élu tombait. Jusqu’à Némésis, il se remettait alors à son bureau, dans son appartement de Manhattan ou sa maison du Connecticut, pour confronter ses personnages à une “nemeses” “un terme très courant aux Etats-Unis et qu’on pourrait définir comme une fatalité, une malchance, la force qui le choisit pour s’abattre sur lui”, nous dit-il en 2012. Philip Roth est mort d’une insuffisance cardiaque à 85 ans. Et il nous manque déjà beaucoup.
Nelly Kaprièlian
Tous les livres de Philip Roth sont publiés chez Gallimard et en Folio.
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