Collage improbable entre opéra et happening, « Ariane à Naxos » conjugue l’émotion pure et l’humour non-sens dans un délirant grand écart revendiqué avec brio par Katie Mitchell.
Convaincus que le lyrique aurait tout à gagner de se rapprocher des autres formes de spectacles, Richard Strauss et son librettiste Hugo von Hofmannsthal imaginent en 1916 avec Ariane à Naxos, l’incroyable crash test d’une rencontre frontale entre un opéra et une comédie-ballet. Décidés à mettre le feu aux poudres du bon goût, leur manifeste est conçu comme une fusée à deux étages. Un prologue joyeusement théorique se joue de la théâtralité des coulisses pour nouer les fils ironiques de leur plan machiavélique. La représentation de l’opéra qui suit fait figure d’une séance de travaux pratiques où ils enfoncent le clou forgé à l’humour de cet élitaire hybridé de populaire qu’ils appellent de leurs vœux.
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Une hypothétique révolution artistique
Lors de la création d’Ariane à Naxos au festival d’Aix lyrique en 2018, Katie Mitchell et le chef Marc Albrecht s’entendirent à merveille pour accorder une partition qui fait des clins d’œil à Mozart et Wagner dans un patchwork quasi parodique avec les invraisemblances d’un livret jusqu’au-boutiste qui prétend réunir des chanteurs honorant le mythe d’Ariane avec une troupe de danseurs italiens venus de la Commedia dell’arte. Pour sa reprise au théâtre des Champs-Elysées, c’est Jeremy Rohrer qui reprend la direction musicale et Heather Fairbairn la reprise de la mise en scène.
Le décor cadre le salon et la salle à manger de “l’homme le plus riche de Vienne”. Quand ce sont les lubies d’un mécène qui provoquent une hypothétique révolution artistique comme on casse des œufs dans un bol, il ne s’agit certainement pas de prendre la chose au sérieux mais d’en rendre compte sans concession…
Un cadavre exquis d’images dignes du surréalisme
S’agissant du prologue, on pense au cinéma de Lubitsh tant la façon qu’a Katie Mitchell de faire monter la mayonnaise se réfère à la virtuosité des intrigues échevelées des grandes comédies d’Hollywood. Avec ses costumes de lumières drolatiques et son accouchement en direct, l’improbable succession de gags qui émaillent la représentation de l’opéra tient quant à elle d’un cadavre exquis d’images dignes du surréalisme. L’expérience proposée associe alors deux mondes incompatibles et l’on se surprend à rire du happening délirant dans l’état de pure émotion où nous entraîne l’écoute sublime de la musique et du chant. Continuer de nous charmer au milieu de ce chaos insensé s’avère un pari fabuleux que Camilla Nylund en Ariane et Olga Pudova en Zerbinette relèvent avec génie. Ayant revisité pour l’occasion le livret, Martin Crimp conclut quand à lui sur une ultime pirouette en offrant le mot de la fin au fameux mécène responsable de cette performance des extrêmes : “Mes chers amis, je crois que nous avons tous été témoins d’une expérience très intéressante qui a eu assurément ses grands moments. Mais nous avons tendance à penser que l’avenir de l’opéra prendra une toute autre direction.”
Ariane à Naxos de Richard Strauss, direction musicale Jeremy Rohrer, mise en scène Katie Mitchell, reprise de la mise en scène Heather Fairbairn. Du 21 au 31 mars au Théâtre des Champs-Elysées, Paris.
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