Il est une voix qui compte et le confirme avec un récit fou, éperdu de liberté, d’amours impossibles et de désespoirs sublimés.
“Les cimetières, ce n’est pas ce qui manque à Paris, Madame Marty !” crie le héros de La Vie lente à sa voisine de 80 ans. Mounir devient fou, paranoïaque, il ne dort plus. Moins parce qu’il entend tout ce qui se passe dans l’appartement de cette vieille femme, qu’en raison des regards hostiles et insinuations racistes des habitants de l’immeuble à son égard. (Comment ! Un Arabe rue de Turenne ?) Surtout depuis les attentats.
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Le petit gamin des rues de Rabat qui a réussi, professeur de lettres propriétaire d’un appartement dans un quartier chic de la capitale, est devenu étranger à lui-même comme aux autres. Il décide alors de “sortir de sa zone d’inconfort, d’aller, avec beaucoup de honte, explorer la banlieue, à la rencontre de ces Français nés ici, mais que la France voyait toujours comme des immigrés”.
Il y a le meilleur d’Abdellah Taïa
Dixième roman d’Abdellah Taïa, La Vie lente est son plus autobiographique. C’est le livre de la maturité, du quarantenaire qui, comme son héros, a déjà vécu des vies multiples. Mounir sait que le meilleur est peut-être déjà derrière lui. Il est pris d’une envie d’autant plus furieuse d’inconnu, de rencontres, de liberté. Ce sera Antoine, policier marié et père de famille qu’il accoste dans le RER et séduit, comme ces hommes plus âgés pour lesquels il se prostituait au Maroc ; ce sera Au Paradis, salon de thé de la cité Pablo Picasso de Nanterre où le temps s’arrête ; ce sera même cette Madame Marty, la seule personne qui le comprenne, au fond, si charmante par son côté vieille France.
S’il est né au Maroc, Taïa est en fait plus français que bien des Français. Car il a avec la France, sa langue, sa littérature, ce rapport amoureux et exigeant
Il y a du Jean Genet dans La Vie lente, celui des Bonnes, il y a aussi le Romain Gary de La Vie devant soi, cité au détour d’une phrase. Il y a surtout le meilleur d’Abdellah Taïa, avec ces monologues à couper le souffle que ses personnages s’adressent les uns aux autres, s’apostrophant, se disant leurs quatre vérités. On présente parfois l’auteur du Jour du Roi comme un “écrivain francophone”, selon l’expression commune.
S’il est né au Maroc, Taïa est en fait plus français que bien des Français. Car il a avec la France, sa langue, sa littérature, ce rapport amoureux et exigeant qu’on a avec les pays et les êtres que l’on choisit. Une langue que ce docteur en lettres, auteur d’une thèse sur le roman libertin au XVIIIe siècle, pratique avec tumultes et délices. Et que ce roman, aux tonalités marocaines, algériennes ou joyeusement franchouillardes, au gré des personnages, époques et pays qu’il visite, contribue à enrichir.
La Vie lente (Seuil), 266 p., 18 €
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