Le Britannique Alex Garldand, auteur de La Plage et réalisateur d’Ex Machina, signe cette série-enquête dystopique autour d’une mystérieuse entité dont on peine à comprendre les enjeux.
L’un des avantages les plus notables de la “peak TV” – la production en masse de séries à l’ère du streaming – réside dans la place laissée à des tentatives totalement en dehors des clous, thématiquement et esthétiquement. Cette place reste évidemment fragile et menacée par une industrie jamais sentimentale. Pour preuve, l’une des plus belles saillies de la décennie passée, l’incroyable The OA de Brit Marling et Zal Batmanglij, a été sabordée par Netflix après deux saisons. Le monde des exceptions reste aléatoire. Alors, voir Devs d’Alex Garland parvenir jusqu’à nous – via Hulu et FX, deux références américaines majeures – ressemble à une bonne nouvelle.
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Le Britannique s’est d’abord fait connaître comme auteur de La Plage – le roman adapté au cinéma avec Leonardo DiCaprio – et scénariste de Danny Boyle, avant de plonger lui-même dans le grand bain. Ses films Ex Machina et Annihilation (ce dernier sorti sur Netflix en 2018, avec Natalie Portman) lui ont valu une réputation d’auteur de science-fiction mélancolique, obsédé par les conséquences de la technologie.
Plongée dans une entité secrète
Un statut en devenir, car aucune de ses tentatives n’a totalement convaincu. Son passage à la minisérie – Devs compte huit épisodes bouclés – intrigue d’autant plus qu’il laisse au quasi-quinqua l’occasion d’exprimer sous une forme moins contraignante que celle d’un long métrage son désir d’univers malléables, surprenants et contemplatifs.
L’action débute comme un thriller acéré, quand il arrive un malheur à l’employé d’une firme du monde de la tech. Ce garçon d’origine russe commence à travailler avec un dénommé Forest, patron de l’entreprise Amaya, sur le projet “La Machine”. Mais le pauvre ne revient pas du boulot le premier soir, ce qui recouvre d’emblée la série d’un voile de noirceur et de mort. S’ensuit un mélange entre l’enquête menée par Lily, la petite amie du disparu (excellente Sonoya Mizuno), et une plongée dans le monde de “Devs”, l’entité secrète dans laquelle travaille Forest et où trône une salle de projection très particulière.
Entre deux lumières radiantes et impressions d’étrangeté boostées par une bande-son aux accents mystiques, il est question de physique quantique, de multivers, de déterminisme et de la meilleure façon d’utiliser la puissance informatique pour tordre la mécanique d’effets et de causes qui préside aux destinées humaines. La tension entre le vivant et la machine s’avère constante. Quelques voyages temporels ne sont pas à exclure.
Une conclusion décevante
Présentée de cette manière, Devs s’apparente à un essai de philosophie contemporaine sur les mondes de libertés et de contraintes que la technologie permet d’imaginer. Elle n’est pas que cela, et c’est d’ailleurs sa meilleure idée. Quand elle se laisse aller à l’exploration intime de personnages en proie à la douleur de voir disparaître ceux et celles qu’ils ont aimé·es, le ton calme et folk employé par Garland (qui écrit et réalise tous les épisodes) permet des moments gracieux. Filmer des êtres perdus dans un maelström d’images qui réveillent leur culpabilité et leurs manques a de quoi séduire. Le bel épisode 5, par exemple, fourmille d’idées formelles et narratives qui servent absolument l’incarnation.
Malheureusement, la suite de la série, qui enchaîne plusieurs épisodes ultra-ambitieux voyageant des origines de l’humanité à l’orée d’un futur possible, peine à ne pas s’égarer dans la contemplation de leur complexité trop visible, voire surjouée. En traversant les murs d’images que propose Devs et en observant les visages esseulés de ses personnages tout à tour bavards et trop mutiques, on repense à Twin Peaks: The Return et à The OA, qui ont réussi dans des styles très différents à ouvrir sans arrêt le champ des possibles de leurs fictions respectives. Devs, au contraire, semble rétrécir au fur et à mesure qu’elle avance.
Au vu de sa conclusion décevante alors qu’elle devrait être sublime, il devient clair que la série n’a pas toujours les moyens de son ambition. Garland a inventé un monde où l’imaginaire est censé servir de base. Mais une clôture se dresse systématiquement pour nous empêcher de décoller.
Devs A partir du 6 mars sur Canal+ Séries et MyCanal
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