Trois jours après le ralliement du PS à la liste de Raphaël Glucksmann et Claire Nouvian, Benoît Hamon réaffirme ses convictions et ses positions. Le ton est ferme et le message est clair : la gauche écologiste qu’il entend incarner ne fera pas de compromis avec les conservateurs et libéraux.
« Dans une période électorale, il faut dire ce qu’on est et où l’on va […] la gauche écologiste européenne que nous incarnons fera lors de cette élection européenne de la question des libertés et des droits fondamentaux, un objet de conquête ». Trois jours après le ralliement du Parti socialiste d’Olivier Faure à la liste de Raphaël Glucksmann et Claire Nouvian, Benoît Hamon affiche une posture ferme et claire lors du « Vrai grand débat national » organisé par son parti, Génération.s, à Montreuil le mardi 19 mars 2019. Ses ennemis ? Emmanuel Macron, les grands patrons ainsi que la droite conservatrice et libérale.
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Cette rencontre avec les militants a permis de mettre les points sur les « i » et de désigner à la fois une ligne de conduite et des ennemis. Germinal, militant du XIXe arrondissement nous assure, à la fin du meeting, être confiant : « On trace notre voie ». Le mot d’ordre est de continuer d’avancer. Cette soirée doit permettre de donner la parole aux « invisibles ». Cinq dirigeants français de multinationales ont été invités à débattre avec une « citoyenne » ou un « citoyen » contradicteur sur certaines thématiques. Tous ont écarté l’invitation, qui est devenue un prétexte pour mettre en scène le programme et le discours de Génération.s pour les élections européennes.
Les chaises des accusés
En entrant dans la salle où quelque deux cents chaises ont été installées pour l’occasion, dix autres, en bois, font face sur l’estrade aux spectateurs. À la droite du public, cinq sont occupées par des « invisibles » qui, d’après Benoît Hamon sont « sortis de l’ombre pour aller dans la lumière » et prendre la parole. À gauche, aux places vides des représentants d’entreprises ont été adossés des panneaux indiquant où chacun aurait dû s’assoir par son nom et celui de la société qu’il dirige. Tout au long du meeting, l’ancien candidat à la présidentielle se tient au centre de la scène, entre les deux rangées de chaises.
Dans ce jeu de miroir, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, se retrouve face à Sabrina, étudiante et caissière dans cette même grande-surface ; Benoît Rabilloud, président de Bayer France, face à Éric, chevrier du sud des Alpes ; Patrick Pouyanné, PDG de Total, face à Fannie, demandeuse d’emploi de Bretagne avec deux enfants à charge seule ; Xavier Huillard, PDG de Vinci, face à Yann, agent hospitalier et « gilet-jaune » ; Jean-Laurent Bonnafé, administrateur-directeur général de BNP Paribas, face à Isabelle, ancienne infirmière dans les hôpitaux publics. Les conditions sociales et professionnelles, parfois difficiles, des uns répondent aux fonctions des autres.
Ces cinq « interpellations », pour reprendre le mot de la première intervenante, Sabrina, correspondent à autant de grands axes du programme du mouvement français et de la liste « Printemps européen » à laquelle il appartient dans le cadre des élections de mai. En refusant d’être là, les dirigeants de sociétés ont abandonné le droit à se défendre eux-mêmes. Car c’est bien à une série d’assignations à comparaître suivies de mises en accusations que nous assistons. À la place des accusés ce sont des membres de Génération.s qui prennent la parole et usent de leur droit de réponse pour mettre en avant les propositions prônées par le parti de Benoît Hamon.
Nommer ses adversaires
Pour le leader de Génération.s, il s’agit de « prendre acte » du pouvoir de ces hommes, de « nommer les lieux où leur pouvoir s’exerce ». Il présente ce débat comme l’opportunité pour les « invisibles » de prendre la parole. « Les premiers » à s’être emparé de cette parole pour s’exprimer sont, selon lui, les « gilets jaunes ». Choisir le terme d’« invisible » n’est pas anodin. On pense, bien sûr, au film Les invisibles de Louis-Julien Petit sur les femmes vivant à la rue, ou au plus récent ouvrage Les invisibles de la République, de Salomé Berlioux et Erkki Maillard traitant de la jeunesse de la « France périphérique ».
Mais ce « Vrai grand débat » a d’abord pour vocation de dénoncer ceux que le leader de Génération.s appelle « les vrais invisibles », les dirigeants de multinationales. Il nous soumet cette question inaugurale : « Comment font-ils pour inspirer autant de lois ? » Dans une mise en scène qui a tôt fait d’entraîner l’audience, il frappe du doigt, de chaise en chaise, l’entreprise ayant profité, d’après lui, tout-à-tour du CICE, de la loi sur les perturbateurs endocriniens, de la réglementation sur l’accès au crédit de consommation, sur la fiscalité écologique. Toutes ces mesures résume-t-il, « c’est eux, de [la loi] El Khomri aux ordonnances Macron ! » Le mot de lobbying n’est pas prononcé mais est dans tous les esprits. Et c’est sur ce point qu’est porté le plus lourd coup contre le chef de l’État alors que la provenance des dons reçus durant la campagne est questionnée. Le ton est tranché, parfois brutal et les accusations sont sévères.
Le projet de réappropriation du débat
Derrière cette rhétorique, celui qui aspire non seulement à « réorienter la construction européenne » mais aussi à « reconstruire la gauche écologiste » frappe fort contre le Grand débat mis en place par le gouvernement et qui s’est achevé le vendredi 15 mars dernier. Loin de le considérer comme achevé, Benoît Hamon entend le « poser différemment » et permettre aux citoyens de véritablement se le réapproprier.
Selon l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron, dans sa lettre aux Français, écarte d’emblée la question de la répartition des richesses qui serait ainsi « le débat impossible en France ». Le débat auquel Benoît Hamon et la tendance qu’il représente entendent participer repose sur la mise en avant du « pouvoir de vivre », au détriment du « pouvoir d’achat » comme paradigme socio-économique. Il tend la main à la CFDT, à l’origine du concept, et à travers elle aux corps intermédiaires dénigrés par le chef de l’État.
Alors que Françoise Sivignon, présente sur la liste de Génération.s, saluait la « constance » et le « courage » de Benoît Hamon avant son entrée sur scène, celui-ci affirme comme proposition fondamentale pour les termes du débat national la mise en place d’un « revenu universel d’existence », à des années lumières selon lui du « sous-RSA » du Président de la République (terme par lequel le dirigeant de Génération.s désigne le « revenu universel d’activité »).
Le développement d’un projet européen construit
D’autres propositions sont avancées au long des interventions des « citoyennes et citoyens » ou des membres du parti qui leurs répondent. Sabrina, qui interpelle Alexandre Bompard sur les inégalités de traitement au sein de Carrefour interroge l’absent : « Pourquoi constamment rogner les bas salaires ? » Zerrin Bataray, autre membre de la liste aux européennes de Benoît Hamon et avocate spécialiste du droit du travail, lui répond. Dénonçant le fait que sept travailleurs pauvres sur dix en France sont dans la grande distribution, elle avance la mise en place d’un dividende citoyen européen financé par les bénéfices des « grands patrons » : « s’ils ne veulent pas partager, on va leur apprendre ! », assure-t-elle.
Elle nous confie par message que l’inspiration sociale de la liste de Génération.s est avant tout de « libérer les travailleurs de la précarité et du souci des fins de mois. C’est de les sortir de ce lien de dépendance économique qui les contraint à tout accepter et qui permet aux libéraux de les rendre ‘flexibles’ à souhait. Tout est fait pour les maintenir dans cet état parce que cette dépendance et cette précarité leur [aux grands patrons] sont profitables. »
Benoît Hamon choisit ses adversaires
Sur la thématique écologique, Benoît Hamon, accompagné de Guillaume Balas, député européen répondant à Éric, chevrier du sud des Alpes, sur ces questions, dénoncent « l’hypocrisie totale » du gouvernement. Le jour de la mobilisation de la jeunesse pour le climat, vendredi 15 mars 2019, la majorité LREM a voté à l’Assemblée nationale un amendement autorisant la production en France de pesticides contenant des substances interdites dans l’Union européenne. Guillaume Balas particulièrement animé sur scène, insiste : sur ces sujets, « le pouvoir se situe au niveau européen », parfois « invisible » néanmoins, « quand les députés européens travaillent, ils arrivent à quelque chose », même si cela doit passer par des batailles d’expertises et de lobbying.
Sur un ton ironiquement familier, Benoît Hamon tourne en dérision et Patrick Pouyanné, patron de Total, l’« as des as », et Jean-Laurent Bonnafé, à la « bonne tête de vainqueur ». Derrière le sourire, la voix est incisive. Le premier obtient son titre du fait de sa capacité à mettre en scène, aux yeux du dirigeant écologiste, le greenwashing de l’entreprise qui reste le 12e producteur de CO2 mondial : un véritable « cador ». Le second a hérité de cette mention spéciale du fondateur de Génération.s pour la simple et bonne raison que, selon ce dernier, il « finance tous les autres ».
Benoît Hamon désigne ouvertement ses ennemis et les attaques frontalement. Il entend faire passer « un message clair sur ceux avec lesquels on pourrait s’allier : je vous le dit aussi net que cela, nous députés européens du ‘Printemps européen’, refuseront toute alliance avec les libéraux et les conservateurs », quant à « certains groupes de gauche », prêt à « reproduire demain le petit partage […] qui existait auparavant » avec la droite conservatrice et libérale au parlement européen, selon l’ancien candidat socialiste à la présidentielle. Ni Génération.s ni aucun élu membre du « Printemps européen », n’y prendra part. Qu’on soit ou non d’accord avec lui, on ne peut reprocher à Benoît Hamon son manque de clarté, même si les chances d’union de la gauche semblent s’envoler définitivement.
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