Une fois encore, le festival pluridisciplinaire de Saint-Brieuc a rempli son pari. Le temps d’un week-end le centre-ville de la cité bretonne a été rythmé par les concerts et les performances artistiques en tout genre.
Matt Bastard, Guitar Hero
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Pour l’ouverture de la Grande Scène, Matt Bastard et son groupe avaient de l’énergie à revendre. Un peu trop peut-être. Auteur d’un show techniquement réussi, il fallait aimer les riffs de guitares qui tâchent, les pirouettes électroniques et les reprises pour apprécier le concert. Un show étonnamment gaguesque grâce à un Matt Bastard déchaîné et prompt aux blagues qui ne cachait pas sa joie de jouer sous le soleil breton.
Le nordiste n’a pas hésité une seconde à traverser la place pour rejoindre une terrasse VIP sous les parasols ou à jouer au chat avec son agent de sécurité, redoublant d’efforts pour échapper à ce dernier. Côté musique, on repassera. Si la voix de Matt Bastard est intacte, il ne reste de place que pour ces riffs de basses et guitares tonitruants et cette batterie assourdissante. Reste que si l’on aime les reprises de Louise Attaque, les hommages à Johnny Hallyday, les blagues potaches Naïve New Beater-esque, les madeleines de Proust adolescentes qui prennent la forme de covers de Killing In The Name Of de Rage Against The Machine, Warp 1.9 des Bloody Beetroots ou emmerder le FN comme les Béru, on trouvera son compte dans ce concert divertissant comme une partie de Guitar Hero. C’est-à-dire avec le plus gros riff possible et potentiellement une bière à la main.
Django Django, California Dreamin’
Un court détour sur la scène B pour observer J. Bernardt en action. Élégamment sapé, le crooner s’inclue dans la droite lignée des James Blake et des Chet Faker grâce à ses morceaux épurés et sophistiqués. On le quitte sur The Question, morceau aux influences orientales qui nous rappelle curieusement Get Ur Freak On de Missy Elliot dans ses premiers instants.
On file voir les Django Django, auteurs d’une discographie en dent de scie mais qui balaiera ici tous les doutes quant à leurs performances en live. Tout commence sur un vocoder glané au Kelly Watch The Stars de Air, avant d’enchaîner sur tous les tubes de leur catalogue bien garni. Le public ne s’y trompe pas car malgré les déflagrations de Matt Bastard, c’est bel et bien la pop solaire sous influences de Django Django qui aura la primeur du premier pogo du week-end. Surpris par l’accueil du public breton, la formation londonienne s’est ensuite pris au jeu haranguant la foule sur les refrains de leurs succès : Tic Tac Toe, First Light ou encore Hail Bop. Alors que le soleil brillait encore haut dans le ciel, on ne remerciera jamais assez les Django Django pour avoir offert ce concert qui entretient le pont entre la Californie des Beach Boys et le Madchester acid et psychédélique des années 80.
Marquis de Sade ou Kiddy Smile : deux scènes, deux ambiances
D’un côté le dandysme intacte d’une formation bretonne légendaire, de l’autre l’énergie décuplée du voguying. Pas franchement décidés, on coupe la poire en deux. Départ tonitruant sur la scène B, avec un Kiddy Smile déchaîné arborant une paire de bottes à faire pâlir n’importe quelle diva des 90’s et une veste mi-disco, mi-couverture de survie. Accompagné par un DJ, une choriste et deux danseuses, le vogueur a enchaîné hit sur hit dont son fameux Dickmatized sorti il y a peu. Difficile de faire plus addictif que les pas de danses hérités des podiums et les tubes cheesy, queer et club de Kiddy Smile. Pourtant, il faudra se résoudre à partir puisque la Bretagne avait rendez-vous avec son histoire sur la grande scène.
Le poids des années est une chose toute relative. Philippe Pascal, chanteur de Marquis de Sade, 62 ans au compteur, en est un exemple évident. Séparé depuis 1981, le groupe s’est reformé l’année dernière. Ce qui ne devait être qu’un one-shot s’est transformé en tournée, et évidemment Saint-Brieuc se devait d’être une escale. La formation qui a initié la scène rock rennaise (Etienne Daho, Niagara…) a remis les pendules à l’heure des 70’s. Devant un public conquis venu se faire madeleine-de-prouster, Marquis de Sade a brassé ses influences du Bowie période Low jusqu’aux Talking Heads avec un concert d’une maîtrise absolue démontrant, malgré seulement trois albums, l’impact de leur discographie sur la musique française.
Fakear toujours musclé
Sur la grande scène, Fakear prend une ampleur nouvelle sur scène dans une formation plus musclée qu’à ses débuts. Désormais entouré par des musiciens sur scène, le jeune homme n’a pas eu grand mal à faire danser le public d’Art Rock avec ses productions léchées. Rien de nouveau sous le soleil levant de Fakear mais un set diablement efficace mené d’une main de maître par ce découpeur de samples en série.
Mai Lan atire la foule
De son côté, au même moment ou presque, Mai Lan jouait dans une salle comble au Forum où même les escaliers étaient pris d’assaut. Un succès compréhensible car même en prenant le train en marche, il fallait être de mauvaise foi pour attaquer le concert de la jeune femme. Celle qui avait opéré un virage pop sur son album Autopilote a réaffirmé sur scène son talent avec un live très Technique.
Les Opticons, l’aparté musée de Philippe Découflé
Entre bizarreries steampunk à la Jean-Pierre Jeunet, illusions kaléidoscopiques à la Mélies et expérimentations à la Clouzot, période L’Enfer, le chorégraphe Philippe Découflé navigue dans un imaginaire hypnotique élaboré avec la compagnie DCA fait de surimpressions hérité des trucages en dur du début du cinéma.
General Elektriks, le groove à l’état pur
Ne vous fiez pas à la dégaine d’expert-comptable, chemisette, cravate et stylos dans la poche, de Hervé Salters, leader de General Elektriks. Ce look cache en fait un pianiste virtuose et quelques jeux de jambes chaloupés à l’occasion. De plus, la galerie de personnages ne s’arrête pas là puisque rare sont les groupes pouvant se targuer d’avoir un bassiste aussi possédé ainsi qu’un joueur de vibraphone coiffé d’une iroquoise. Le groove en étendard, le groupe a livré une prestation d’une générosité sans bornes malgré un public encore clairsemé en ce début de soirée. Entre les tubes des premiers instants Take Back The Instant et Raid The Radio, General Elektriks a mélangé les styles à n’en plus finir : soul, new-wave, chanson française tendance Mathieu Chedid pour qui Salters a joué ou Forever Pavot pour le psychédélisme jusqu’à la communion finale sur le polyglote Amour Uber Alles.
Clara Luciani, la conquérante
Arborant une élégante veste jaune, Clara Luciani a fait son entrée sur scène avec son morceau Monstre d’amour devant une foule qui ne cessera de croître durant le concert. Il faut dire que la voix grave et profonde de la jeune femme a touché plus d’un cœur ce soir-là. Et si quelques aigris sentent poindre l’ennui au moment où Clara joue seule sur scène son très beau Drôle d’époque, c’était sans compter sur le triptyque On ne meurt pas d’amour, La grenade et La baie témoignant de la facilité de Clara Luciani à aligner les refrains efficaces et les lignes de basses dansantes. Elle rejouera d’ailleurs sa reprise de Metronomy lors d’un rappel après avoir écouler son stock de chansons.
On quitte Clara juste le temps d’aller observer en action le soulman d’exception Lee Fields accompagné de The Expressions. A 67 ans bien tapé, il suffit à Lee Fields d’un backing band expérimenté pour laisser exploser sa soul d’un autre temps qu’il peaufine dans l’ombre depuis 40 ans. Auréolé d’un succès tardif, Lee Fields rattrape les années perdues sur scène avec une énergie communicative. Et s’il n’échappe pas aux affres de la vieillesse, cela n’empêche pas au bonhomme de lancer quelques pas de danse et de faire trembler les cœurs de sa voix profonde et rocailleuse.
https://www.youtube.com/watch?v=E9XLDx4-GRg
Therapie Taxi, la recette du succès
Rarement la scène B du Art Rock Festival aura attiré autant de monde ce week-end. La faute à Thérapie Taxi, formation parisienne au succès croissant (difficile de faire plus complet que les concerts de leur tournée) qui roule sa bosse depuis avec une musique bodybuildée qui puise aussi bien dans l’efficacité de la pop, la scansion rap et les décharges rock. Malgré un running gag lourdingue autour de la drogue (« Est-ce que vous aimez la drogue ? », « Vous sentez la musique monter en vous comme un para », ce genre de choses), Therapie Taxi a comblé toutes les attentes du public à grand renfort de tubes crus : Hit Sale, Salop(e) ou Cri des loups. Massée devant la scène, la jeunesse a répondu présente, multipliant cris et pogos au grand bonheur du groupe qui prendra plusieurs bains de foule, prouvant que le mélange des genres est bel et bien ce qui fait vibrer la nouvelle génération.
Camille, comme au théâtre
On le sait de réputation, Camille est possédée sur scène. Sa prestation à Art Rock n’a pas fait exception. Relevant plus de la performance artistique que du véritable concert, le show est une horlogerie que Camille se plaît à détraquer. Pour apprécier pleinement ce concert, il fallait plonger tête en avant, à corps perdu dans cette folie. Il faut dire que l’univers de Camille a de quoi rebuter les plus farouches et néophytes : mélange de percussions organiques, de chœurs et de borborygmes indéchiffrables pour le commun des mortels.
Il y a pourtant une certaine magie à voir comment Camille maîtrise la scène et sa voix injectant une dose de hasard et d’improvisation dans ce concert aux faux airs de Broadway. Notamment lorsqu’elle invite deux personnes du public pour une danse hallucinée sous les tonnerres d’applaudissements d’un public conquis, qu’elle frotte frénétiquement le parquet de la scène pendant plusieurs minutes ou que les choristes arrachent les vêtements d’un des musiciens. L’excuse est éculée mais il fallait vraiment le voir pour le croire.
Catherine Ringer, la leçon
A l’instar de Camille, voir la folie douce de Catherine Ringer à quelque chose de magique. On ne sait si c’est par nostalgie d’une discographie pleine en solo et avec les Rita Mitsouko, si c’est pour cette voix intacte et habitée ou pour ce charisme déglingué dont elle seule a le secret, mais la chanteuse sexagénaire a livré une prestation émouvante et généreuse. Pendant plus d’une heure, Catherine Ringer, forte de 39 ans d’expérimentations musicales, voyagera avec suavité d’une époque à l’autre passant des nouveaux morceaux aux anciens avec une aisance déconcertante. Un concert fleuve où chaque chanson prend des allures de bœuf infini les faisant trainer dans de longues cavalcades soniques ponctuées de vocalises qui témoignent de la vitalité de la diva. Et ce n’est pas ce long final épiphanique porté par Marcia Baila et Andy qui nous fera changer d’avis.
Jungle, la claque
Pour passer après Catherine Ringer, il fallait au moins un groupe de la trempe de Jungle pour tenir la baraque. Ça n’a pas loupé, après la publication de deux nouveaux morceaux et une prestation remarquée au Pitchfork Paris Festival l’année passée, le groupe est de retour sur les routes. Se trainant une réputation de rats de studio, Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland, fondateurs de Jungle ont passé un cap en live.
Eux qui filtraient leur voix en live assument enfin face au micro pour le plus grand plaisir d’un public désinhibé par l’alcool et la soul. De quoi tenter ses meilleurs moves de danse aux sons des tubes comme Busy Earnin’, The Heat, Lucky Got What I Want. Parfait pour clôturer ce samedi même si les moins fatigués pourront profiter du concert de Night Beats et leurs déflagrations rock à la salle du Forum. Le trio de Seattle a offert un live à la hauteur des attentes avec leur garage-rock mâtiné de psychédélisme.
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