Diversité des esthétiques, regard sur nos sociétés : pour sa vingt-troisième édition, le Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles assure à nouveau une programmation internationale exigeante.
A l’instar de la fable imaginée par l’artiste singapourien Ho Tzu Nyen dans son film performance en motion capture, One or Several Tigers, les artistes internationaux invités du Kunstenfestivaldesarts ont en partage la diversité de leurs esthétiques et le regard lucide qu’ils portent sur les zones d’ombre de l’histoire, passée comme future.
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Parabole imagée sur la figure du prédateur à travers l’importance que revêt le tigre dans la mythologie de la République de Singapour, le récit de ce duel virtuel entre l’homme et la bête évoque les occupations étrangères – britanniques et japonaises – qui ont influencé le pays. Et au-delà, c’est toute la structure du capitalisme fondé sur le colonialisme qui émerge ici dans les plis d’une fiction aux atours exotiques et un peu kitsch – l’homme est un tigre pour l’homme.
Prémonitoire incantation d’une Cassandre virtuelle
“Le théâtre du futur sera fait de représentations du néant en silence, et sans autre présence humaine sur le plateau. Personne ne voudra écouter des histoires ou des idées. Personne ne voudra voir personne. L’abstraction totale.” Projetés au-dessus d’un immense champ de fleurs, mausolée scintillant comme tant ont poussé ces dernières années, autels en souvenir de victimes d’attentats et de catastrophes naturelles, ces mots qui sonnent visuellement comme une prémonitoire incantation terrifiante et sidérante pourraient être ceux d’une Cassandre virtuelle.
Mais on ne veut pas le croire, évidemment. Et on laisse s’écouler le récit projeté d’un homme s’adressant à chaque spectateur, lui donnant du “tu” comme s’il le prenait par la main et l’emmenait dans une déambulation d’après spectacle. Cet homme vient d’assister à la fin d’une pièce qui a été présentée pendant 365 jours dans 365 théâtres du monde, en même temps : cette installation-tapis de fleurs étalée sous nos yeux dont chaque scintillement, chaque variation de couleur semblent chargés de mille histoires et pensées.
Temps fort du festival avec les Catalans d’El Conde de Torrefiel
Spectacle événement, et incontestablement le plus fort de l’ouverture de la vingt-troisième édition du festival, La Plaza de Pablo Gisbert et Tanya Beyeler, de la compagnie catalane El Conde de Torrefiel, est aussi une promenade contemplative au gré de tableaux vivants composés d’individus sans visage mais en tous points reconnaissables par leurs identités sociales : équipe de tournage, touristes, femmes voilées au marché, SDF…
S’adressant à d’autres figures, comme autant de clichés triés sur le volet, l’autre révélation de l’ouverture du festival, la Brésilienne Alice Ripoll, cartographie avec aCORdo les frontières invisibles mais tenaces qui divisent la société de son pays. Des murs humains en forme de contrôles policiers séparant gens des favelas et consommateurs qui flânent dans des centres commerciaux, des cinémas et des théâtres. Les “pauvres”, comme autant de bêtes de somme, violents et bagarreurs, voleurs à leurs heures, dépouillant le temps de la représentation un public autour d’eux rassemblé…
Retour sur les grandes heures du Kunsten
Cette avant-dernière édition du festival dans sa forme actuelle – avant que ne parte pour le Theater der Welt de Düsseldorf son éclairé programmateur Christophe Slagmuylder – regroupe également des artistes qui ont fait les grandes heures du Kunsten comme Amir Reza Koohestani, dont on pourra voir la nouvelle création, Summerless.
Mais aussi Toshiki Okada avec la recréation de Five Days in March qui avait révélé le metteur en scène japonais au public européen en 2007 et dont on a pu voir plusieurs fois les spectacles au Festival d’Automne à Paris. Dans Five Days in March, Toshiki Okada déroule de manière diffractée les histoires de plusieurs jeunes adultes à Tokyo alors que, le 21 mars 2003, le Japon vient de rejoindre des forces américano-britanniques sur le point de mener une offensive en Irak. Une intervention militaire, la première d’envergure depuis 1945, qui a suscité de nombreux remous parmi la population japonaise.
Alors, en dépit des Cassandres catalans redoutant l’abstraction totale, cette année encore, que ce soit par le biais de la fable, du documentaire ou de la beauté du geste, les artistes invités du Kunstenfestivaldesarts racontent le monde au travers de leurs préoccupations – et leurs préoccupations sont des révolutions.
Kunstenfestivaldesarts Jusqu’au 26 mai, Bruxelles
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