Réalisé entre Vol au-dessus d’un nid de coucou et Amadeus, ce Forman-là n’a pas connu la même fortune. Cette fresque sociale sur le racisme dans l’Amérique des années 1920 ne manque pourtant ni d’ampleur ni de force.
En s’informant sur “Ragtime”, on ne sera pas étonné d’apprendre que Robert Altman fut le premier réalisateur a avoir accepté de réaliser le film – mais il quitte le projet à la suite d’une mésentente avec le producteur Dino De Laurentiis. Adapté du bestseller éponyme de E. L. Doctorow paru en 1975, le film nous plonge dans les Etats-Unis du début du XXe siècle, entre prouesses de l’illusionniste Houdini, balbutiements du cinéma et racisme dans une société libérée de l’esclavage depuis une poignée de décennies.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Parmi tous ces thèmes, le film ne choisit pas et se fixe l’ambition colossale de dresser un portrait complet d’une Amérique électrique, multiculturelle et qui entre dans une nouvelle ère de son histoire. De New York à New Rochelle, Ragtime croise les destins de personnages venus de tous horizons : un marchand de feux d’artifice et sa femme qui accueillent une mère noire et son bébé, un pianiste noir et cultivé (on pense évidemment à Green Book) qui se trouve être le père de l’enfant ou Evelyn Nesbit, ancienne chorus girl qui accompagne les débuts du cinéma après un divorce houleux suite à l’assassinat de son amant par son mari.
Le film se fait altmanien dans la manière dont il rend ses destins tous solidaires pour composer une miniature du peuple américain. Plus que du terme galvaudé de “film choral”, on parlera d’approche kaléidoscopique d’un pays qui n’empêche pas la justesse du portrait individuel. Très vite l’intrigue se noue autour du pianiste noir, Coalhouse Walker Jr. : après avoir été victime d’un acte raciste (des pompiers déposent de la merde dans sa voiture), il décide de réclamer justice sans y parvenir. C’est là que Ragtime révèle sa vraie influence puisque le roman est librement inspiré de Michael Kohlhaas de Kleist : refusant de se taire face à cette offense, Coalhouse/Kohlhaas Walker Jr. tente tous les recours légaux avant de passer au terrorisme pour une simple voiture qu’il aurait voulu qu’on nettoie. Derrière certains affronts qu’on devrait vite oublier se cachent parfois des colères incendiaires et purificatrices.
La plus grande réussite du film tient à la manière dont Forman évite le manichéisme et donne là encore corps à tout un nuancier d’attitudes face au racisme, du côté des Blancs comme des Noirs. En ne prenant parti pour aucun de ses personnages, Ragtime prend parti pour tous. Et si on peut reprocher à Milos Forman de faire un cinéma parfois trop littéral, l’influence de Kleist permet à Ragtime d’enrouler le fait de société dans l’étoffe chamarrée du mythe.
Ragtime de Milos Forman (E.-U., 1982, 2 h 35, reprise)
{"type":"Banniere-Basse"}