Entre fable et mythe du Léviathan revisité, le quatrième roman d’Elsa Boyer s’impose par son style : la politique-spectacle y est dépeinte comme un tableau baroque.
Un coq, un rat, un cheval se retrouvent en secret dans une pièce. Ils y complotent, préparent un coup d’Etat. Personne ne doit savoir qu’ils se connaissent. Chacun doit tenir son rôle. Le coq deviendra le président : jouant de son corps fier et orgueilleux, il se donne à la foule en délire comme une rock-star. Le cheval “reprend en main les trafics”. Il deale. Le rat fait le sale boulot dans les égouts. Il détourne l’attention. Et puis il y a la première dame, “la diva que réclamait le président”, par laquelle tout partira en vrille.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On retrouve dans Beast ce qui séduisait dans les trois livres précédents d’Elsa Boyer. D’abord cette façon de traiter des sujets ambitieux par le biais de la fable, politique donc : un bestiaire qui rappelle autant La Ferme des animaux de George Orwell qu’Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche. Ensuite ces personnages posés comme des archétypes, qui ne pourront sortir de leur rôle que pour se transformer en monstres. Elsa Boyer décrit admirablement la façon dont les corps se détractent, machines délirantes en surrégime. Les soubresauts du corps présidentiel font penser aux évêques qui hurlent de Francis Bacon, le récit se transformant alors en tableau baroque, magnifique. Cette bête aussi tient du Léviathan, monstre du chaos primitif de la mythologie phénicienne devenu avec Thomas Hobbes une métaphore de l’Etat.
Enfin, cette écriture, poétique : l’auteur se permet toutes les digressions et observations qu’elle juge utiles. Elle sait travailler ses obsessions au corps à corps, y revenir inlassablement sans perdre pour autant le lecteur en chemin, tant le tout est maîtrisé, avec ce tempo haletant comme un bon thriller politique. Chacun y verra ce qu’il voudra: la diva et son coq rappellent le couple Bruni-Sarkozy, la scène de l’attentat dans la voiture présidentielle évoque l’assassinat de JFK. Là n’est pas l’essentiel. Comme dans toute fable, c’est moins la lune que le doigt qui la pointe qu’il faut regarder.
Beast (P.O.L), 192 pages, 13,25 €
{"type":"Banniere-Basse"}