Loin de les réduire au rang de muses, l’exposition Couples modernes, 1900-1950, au Centre Pompidou-Metz, met en lumière le rôle des femmes. Quand l’art et l’amour se réinventaient de concert.
Si l’histoire de l’art, sans parler de son présent, fait de plus en plus place à des femmes longtemps occultées, le modèle persistant de l’artiste masculin et solitaire tend à réduire la “fonction” féminine au statut de muse. C’est précisément à rebours de cette ancienne mythologie effaçant, au nom de leurs supposées beauté inspirante et présence rassurante, le geste des femmes dans l’invention de l’art moderne, que s’inscrit la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz, Couples modernes, 1900-1950. Pour rappeler comment, à l’ombre des créateurs de renom, des femmes en fleur ont marqué de leur empreinte des œuvres-clés. Soit dans une forme de fusion assumée, soit dans une autonomie relative.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La cartographie de l’art de la première moitié du XXe siècle ici proposée par un collectif piloté par l’historienne de l’art Emma Lavigne (Jane Alison, Elia Biezunski, Cloé Pitiot et Pauline Créteur) procède ainsi d’un souci de relecture globale d’une histoire où l’art se conjugua souvent à deux, où l’association sentimentale décupla la créativité artistique à un moment où les femmes commençaient à s’imposer sur la scène politique et culturelle.
Une idée de l’amour moderne
S’attardant sur plus de quarante couples d’artistes ayant tout partagé – le lit, l’atelier –, jusqu’à confondre l’amour de l’art et l’art de l’amour, l’exposition crée un pur effet de vertige. Marcel Duchamp et Maria Martins, Man Ray et Lee Miller, Robert et Sonia Delaunay, Claude Cahun et Marcel Moore, Raoul Hausmann et Hannah Höch, Emilie Flöge et Gustav Klimt, Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp, Georgia O’Keeffe et Alfred Stieglitz, Nadja et André Breton, Vassily Kandinsky et Gabriele Münter, Charles et Ray Eames… : l’art moderne fut ce temps offert aux aventures de couples lumineux symbolisant, tout autant que l’art en pleine réinvention, une idée de l’amour moderne, dégagé des carcans passés.
Le vertige du spectateur est évidemment indexé au thème de l’amour lui-même, mais il est aussi lié à la sensation de profusion que dégage le parcours ouvert à une prolifération d’œuvres (900 tableaux, photos, dessins, sculptures, objets de design issus du musée national d’Art moderne et de collections internationales), racontant toutes, par leurs formes propres, des histoires d’amour singulières. Autant dire que l’on se perd un peu dans tous les plis de ces multiples récits affectifs, dont chacun mériterait une exposition en soi.
L’expo donne à voir tous les enjeux d’un tandem artistique nourri par les feux de l’amour : les formes d’un geste, le partage d’une idée, les travers d’une passion, la fulgurance d’une fusion, l’énergie d’une entente…
Mais le pari de Couples modernes tient à la façon dont la prolifération amoureuse a nourri la prolifération artistique. Organisée en quatre chapitres généraux – “Rythme en liberté”, “Espace partagé”, “Amour réinventé”, “Nature illuminée” –, mettant en exergue des cas particuliers, l’exposition donne à voir tous les enjeux possibles d’un tandem artistique nourri par les feux de l’amour : les formes d’un geste, le partage d’une idée, les travers d’une passion, la fulgurance d’une fusion, l’énergie d’une entente…
Ces fragments de discours amoureux construisent une vraie unité artistique, celle d’un siècle naissant où, de la photographie au design, de la peinture à l’architecture, de la sculpture au ready-made, l’art moderne esquisse son virage contemporain, et où l’amour moderne substitue à la rigidité de ses règles la liberté de ses élans.
Monstre à deux têtes
Dans ces multiples zones d’échange et de confrontation, où les esprits se pénètrent et les peaux s’effleurent, certains comme Marcel Duchamp cultivent la “co-intelligence des contraires” quand d’autres, comme Sonia et Robert Delaunay, confondent leur vie et leur art. “En se réveillant, les Delaunay parlent peinture”, disait Apollinaire à propos du duo uni jusqu’au bout des pinceaux… Et si quelques indomptables (le musicien Gustav Malher, Picasso, Diego Rivera…) eurent la tentation de sacrifier leurs complices (Alma Schindler, Dora Maar, Frida Kahlo…), la majorité des couples modernes ici rassemblés inventèrent ce modèle type du “monstre à deux têtes” dont l’histoire contemporaine a prolongé l’épopée.
En dépit de sa densité un peu asphyxiante, l’exposition offre un catalogue impressionnant et raisonné d’une page clé de l’art moderne qui trouva les voies de sa réinvention conceptuelle dans la matière la plus sensible des affects.
Couples modernes, 1900-1950 Jusqu’au 20 août, Centre Pompidou-Metz
{"type":"Banniere-Basse"}