Dans cet album étonnant aux frontières de l’essai et de l’autobiographie, Philippe Dupuy s’interroge avec les musiciens Dominique A et Stéphan Oliva sur ce qui les rapproche.
“Polar. Western. S-f. Historique. Des cases bien rangées (…) Et si la bande dessinée est tout ça, dois-je considérer que ce que je fais n’en est pas ?” Celles et ceux qui aiment entrer dans un album de BD comme on enfilerait des vêtements confortables à force d’être usés vont être désarçonné·es. Ici, chaque planche constitue une renaissance et repose sur une invention graphique qui sert une piste ou éclaire un propos.
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Le succès populaire doit-il forcément se trouver au bout du chemin ?
Comme le résume son titre un peu provocateur, Philippe Dupuy multiplie les questionnements autour du médium qui reste au centre de ses multiples activités – production de livres, spectacles, installations. Si cet essai dessiné n’a rien d’aride, c’est parce qu’il lui a donné une forme très ouverte, aux confluents d’autres arts, et qu’il l’imagine sous la forme de plusieurs dialogues. Dupuy discute d’abord avec lui-même, se créant un double qui joue au contradicteur, puis se souvient de lui enfant, retournant à la source et au plaisir de décalquer les personnages de Picsou Magazine.
Il invite ensuite le pianiste de jazz Stephan Oliva et le chanteur Dominique A pour évoquer avec eux les rapports entre musique et bande dessinée. Les deux pratiques tiennent-elles de l’art ou de l’artisanat, quelle est leur légitimité ? Le succès populaire doit-il forcément se trouver au bout du chemin ?
La densité des échanges et l’instabilité formelle peuvent effrayer qui n’est pas habitué·e à ce genre d’audaces. Mais les citations graphiques très ludiques – entre autres, Peanuts de Charles M. Schulz, le Philémon de Fred ou les superhéros Marvel – nous tendent la main et sauveront les néophytes de la noyade.
Au fil de la conversation, certaines questions demeurent sans réponse, avant une déclaration finale quasi amoureuse à Philippe Druillet qui ramène au premier plan l’éblouissement. Jouant avec les matières et les textures, Philippe Dupuy emprunte ses codes à la BD animalière, confronte collages et dessins jetés, balance d’imposants schémas et illustre avec des métaphores saisissantes en quoi son art tient du saut dans le vide. Alors que le ministère de la Culture français a décidé que 2020 sera l’année de la bande dessinée, que les autrices et auteurs s’inquiètent pour leur statut, voici un livre qui peut à la fois nourrir les débats tout en adoptant une approche décalée.
J’aurais voulu faire de la bande dessinée (Futuropolis), 88 p., 19 €
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