Mu par le désir de travailler avec l’actrice, le prolifique Ivo van Hove s’attaque à Tennessee Williams. Emotions glanées dans les coulisses d’une répétition.
A peine a-t-il quitté New York, où il vient de créer West Side Story sur Broadway, on retrouve Ivo van Hove à Paris pour poursuivre son exploration des dramaturgies américaines du XXe siècle. Après avoir monté Vu du pont d’Arthur Miller en 2015 aux Ateliers Berthier, ce sont les ors de l’Odéon qui consacrent la première collaboration du metteur en scène Flamand avec Isabelle Huppert.
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“Ça a simplement pris quatre ans pour accorder nos agendas (rires). Isabelle et moi avions depuis longtemps l’envie de travailler ensemble. J’ai tout de suite pensé à La Ménagerie de verre de Tennessee Williams pour lui proposer le rôle de la mère, Amanda, que j’imagine comme un phénix renaissant de ses cendres.” Figure mythique de mère déclassée, Amanda célèbre chaque jour les fastes de sa respectabilité passée, quand elle vivait dans le Sud.
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Excluant toute nostalgie, Ivo van Hove précise : “L’ancrage dans cette dignité perdue est sa source d’énergie. Sa manière de pallier la démission du père. Elle s’y réfère comme un modèle pour continuer d’aller de l’avant et construire l’avenir de ses enfants, Tom et Laura.”
Tennessee Williams puise largement à son autobiographie, témoignant de l’extrême pauvreté de sa famille et de l’atmosphère toxique de sa jeunesse. Le personnage de Laura est inspiré par sa sœur, qu’on diagnostiquerait aujourd’hui bipolaire, celui de Tom est un portrait de l’auteur qui avait dû, avant de prendre la décision de devenir dramaturge, travailler en usine pour subvenir à la vie du foyer et cacher sa passion pour l’écriture et le cinéma d’Hollywood.
“Je ne peux m’empêcher de m’identifier à Tom, confie Ivo van Hove. Mes parents voulaient que je sois avocat et sa situation me rappelle mes propres dilemmes quand j’ai décidé d’arrêter mes études pour me lancer dans une carrière de metteur en scène.”
Peinture rupestres
A trois semaines de la première, l’équipe est au travail dans le décor imaginé par le scénographe Jan Versweyveld. Proche d’une installation d’artiste, l’appartement où tout se passe est un cul-de-sac aveugle, un sous-sol entièrement tapissé par l’inquiétante étrangeté d’une épaisse fourrure brune aux reflets orangés.
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Dignes d’une caverne des premières heures de l’humanité, les parois s’ornent de fresques où apparaissent des empreintes de mains, des visages et des paysages fantasques dessinés au gré des effleurements. Telle la surface d’une pellicule sensible aux conflits permanents qui s’y déroulent, ce cadre hallucinant plonge les personnages dans un trip sous LSD sans fin.
A ce stade des répétitions, on assiste au débroussaillage des scènes d’ouverture. N’intervenant que plus tard, Cyril Guei, qui joue Jim, l’hypothétique prétendant de Laura, observe ses partenaires depuis la salle où sont regroupées les régies. Nahuel Pérez Biscayart (Tom) tout comme Justine Bachelet (Laura) commencent par porter des costumes dont le ton sur ton produit un effet de camouflage qui leur permet de se fondre dans le décor.
Seule pièce éclairée par les rais d’un jour inaccessible tombant d’une cour anglaise, la cuisine est le royaume de la mère nourricière. Pareille aux héroïnes des tableaux de Norman Rockwell, Isabelle Huppert apparaît dévorée par la blancheur incandescente d’une sainte lumière.
Une dynamique sans faille
L’œuvre distille les secrets de chacun dans un huis clos vénéneux. Ivo van Hove demeure fidèle à une seule règle : “Quand c’est caché, il faut juste montrer que c’est caché.” Reste l’étourdissante performance d’un artiste en création réglant dans un même geste toutes les composantes de son spectacle.
La construction en live d’une dynamique sans faille entre le jeu des comédiens, l’intensité soudaine d’une lumière, le lancement d’une musique et les mouvements d’un rideau de scène sont autant de preuves d’un savoir-faire qui ne laisse aucun doute sur les promesses du spectacle à venir.
La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène Ivo van Hove, avec Isabelle Huppert, Justine Bachelet, Cyril Guei, Nahuel Pérez Biscayart. Du 6 mars au 26 avril, Odéon-Théâtre de L’Europe, Paris. En tournée jusqu’en décembre
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