En seulement deux films, Yann Gonzalez s’affirme comme un grand esthète de la marge, embrassant avec une même fougue tout ce qui est à l’extrême périphérie – de la société, de la sexualité, de l’industrie du cinéma.
Qu’est ce qui fait le plus mal, un coup de couteau dans le coeur ou un coup de couteau dans le cul ? Le film s’ouvre par un hallucinant plan bondage qui vire en féroce poignardage de rectum. Qu’est ce qui menace le plus un coeur ? Les armes blanches affûtées des serial killers en prédation ou les deuils amoureux dont on ne se remet jamais ? Que vaut-il mieux pour un coeur, de gicler du sang en grande gerbes rougeâtres sous les assauts des couteaux ou au contraire se dessécher lentement par raréfaction de l’amour – « Mon coeur est sec de toi » dit une femme à celle qu’elle quitte. C’est sûr : certaines phrases tranchent comme des couperets.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Autour d’Anne (Vanessa Paradis), c’est l’hécatombe : l’intégralité du casting des films x gay qu’elle produit est méthodiquement décimée par un terrorisant tueur masqué. Mais en elle, c’est l’hécatombe aussi. Un effondrement intime. Loïs, la monteuse de ses films, ne l’aime plus, l’a quittée et laissée éplorée. La folie d’Anne tient de la dénégation : elle ne veut rien savoir de cette rupture ; son désir obsédé de reconquérir Loïs en fait une grande héroïne monomaniaque, fiévreuse, sauvage, incontrôlable.
Ce qu’elle fuit c’est un garçon qui découpe (#slasher). Ce qu’elle poursuit c’est un femme qui découpe (des petits bouts de pellicule pour monter des films). Pris entre ces deux feux, Un couteau dans le coeur est un grand film tailladé. Chaque genre convoqué semble en écorcher un autre : le porno gay vintage est dépecé par un giallo vorace ; un fantastique français à la Franju (les magnifiques scènes avec Jacques Nolot et Romane Bohringer) est électrocuté par des secousses de cinéma expérimental classique (images en négatif tacon Maya Deren, grattage de pellicule a la Norman McLaren…). Ces personnages d’outcast (putes transgenres, acteur porno, camés, grands brûlés…) sont comme des poissons de l’eau dans un univers où se compressent les réminiscences des genres les moins valorisés, les plus clandestins (X, z, bis, film expé, auteurs maudits – comme Guy Gilles, convoqué par la chanson d’Absences répétées).
En seulement deux films, Yann Gonzalez s’affirme comme un grand esthète de la marge, embrassant avec une même fougue tout ce qui est à l’extrême périphérie – de la société, de la sexualité, de l’industrie du cinéma. Dans ces univers louches, il cisèle une fascinante joaillerie d’images, sensuelles et froides, nettes et bifaces, référencées et modernes. Nappées des compositions virtuoses et variées de M83, habitées par des acteurs intenses (Vanessa Paradis parait vraiment ressuscitée au cinéma trente ans après Noce blanche), leur charge est hautement magnétique.
Un couteau dans le cœur, de Yann Gonzalez, avec Vanessa Paradis, Kate Moran, Nicolas Maury (Fr., 2018, 1h40)
Sélection : Compétition Officielle
{"type":"Banniere-Basse"}