Auteur de l’intro du « Be My Baby » des Ronettes, compagnon de route des Beach Boys lors de leurs meilleures années et chef de file du légendaire Wrecking Crew, le batteur américain, mort à 90 ans, a gravé sa marque un peu partout dans nos collections de disques.
BOOM-BOOM-BOOM-PAW! Durant sa longue carrière, le batteur Hal Blaine, mort le 11 mars à l’âge de 90 ans, a participé à l’enregistrement de plus de trente-cinq mille chansons en studio. Des millions de notes qu’il a jouées, on en revient pourtant toujours à ces quatre de grosse caisse et de caisse claire qui ouvrent le Be My Baby des Ronettes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
https://www.youtube.com/watch?v=ZV5tgZlTEkQ
L’homme de l’ombre
Quatre notes gravées pour l’éternité, un jour de juillet 1963, par un musicien qui a probablement laissé sa marque un peu partout dans votre collection de disques. Au rayon grands classiques, la liste semble interminable: California Dreamin’ des Mamas and Papas, Last Train to Clarksville des Monkees, I Got You Babe de Sonny et Cher, The Happening des Supremes, By the Time I Get to Phoenix de Glen Campbell, Strangers in the Night de Frank Sinatra et These Boots Are Made for Walkin’ de sa fille Nancy, River Deep – Mountain High de Ike et Tina Turner ou la plupart des productions des Beach Boys entre 1963 et 1967 – Blaine s’assit fréquemment derrière les fûts en studio à la place du cadet Dennis Wilson, davantage intéressé par les filles et les bagnoles, avant de l’assister en 1977 sur son culte Pacific Ocean Blues.
Sans oublier des tubes californiens quelques peu oubliés comme San Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair) de Scott McKenzie, Surf City de Jan & Dean, Eve of Destruction de Barry McGuire ou It Never Rains in Southern California de Albert Hammond, ou une présence plus discrète sur des disques chéris comme Katy Lied de Steely Dan ou Forever Changes de Love. Jusqu’au milieu des années soixante-dix, Hal Blaine, qui coulait depuis une trentaine d’années une retraite bien méritée, était partout. Tellement partout qu’il avait créé un tampon dont il s’amusait à semer la trace, en Californie et au-delà: “Hal Blaine Strikes Again”.
Né Harold Simon Blesky de parents juifs d’Europe de l’Est dans le Massachusetts en 1929, Blaine commence la batterie à l’âge de sept ans. Son père, à qui un médecin conseille l’air de la côte, emmène la famille en Californie où l’adolescent commence à jouer dans des petits groupes pour une poignée de dollars avant d’utiliser sa solde, après son service militaire, pour se payer un vrai cursus de batterie. Devenu le batteur d’un orchestre de jazz, il voit un soir, à la sortie d’un concert, un type lui taper sur l’épaule et lui proposer, en mâchonnant son cigare, 75 dollars pour jouer pour un groupe qui doit passer une audition chez Capitol. Devenu le batteur de la jeune star Tommie Sands, Blaine intègre le cercle des musiciens de studio de Los Angeles, ce qui lui vaut, au début des années soixante, de premières collaborations avec Sam Cooke ou Elvis, qu’il assistera ensuite pour son légendaire ’68 Comeback Special.
Un jour de 1962, l’ingénieur du son Larry Levine cherche à assembler un groupe de musiciens de studio pour enregistrer He’s A Rebel, chanson écrite, produite et arrangée par deux jeunes prodiges tout juste vingtenaires, Phil Spector et Jack Nitzsche. Hal Blaine est du nombre, et séduit immédiatement l’exigeant Spector. Au fil des singles, le producteur lui demande, le plus souvent, de négliger les cymbales pour se concentrer sur les autres composantes de son instrument, tout en recrutant des percussionnistes en nombre pour apporter de la couleur. Au point que Blaine surnommera ces sessions « le Phil-harmonique » : “Phil appréciait un son de caisse claire aigu et compact parce qu’il voulait qu’il traverse son ‘mur du son’. Je jouais toujours la caisse claire et le tom basse à l’unisson pour consolider le rythme« .
Le Wrecking Crew
Le nom du batteur est tellement resté associé, dans l’imaginaire musical, à celui de Spector, que Bruce Springsteen, fan de leur travail commun, était connu pour crier « Hal Blaine!” à son batteur Max Weinberg pour réclamer un son précis. Et Blaine finira lui-même par en imaginer un, de nom, pour qualifier la bande de mousquetaires de studio qui va devenir au Los Angeles des sixties ce que la A-Team fut à la country de Nashville ou les Funk Brothers à la Motown: le Wrecking Crew, le “gang des gâcheurs”. Des musiciens doués et travailleurs (Carol Kaye à la basse, Glen Campbell à la guitare, Leon Russell aux claviers, Tommy Tedesco à la guitare…), appréciés des labels mais parfois regardés de travers par la vieille garde restée au jazz ou aux big bands, qui leur reproche de “gâcher” le métier. “À cette époque-là, les musiciens des grands orchestres portaient tous des blazers et des nœuds papillon, racontera Hal Blaine au journaliste David Leaf. On ne parlait pas, on ne chuchotait pas. On suivait du regard le chef d’orchestre. On a débarqué là-dedans comme une bande qui allait saccager la musique, ils pensaient qu’on était dingues. On portait des Levi’s et des tee-shirts. On fumait des cigarettes. Il n’y avait pas d’alcool, pas de drogues non plus, même si les musiciens sont connus pour ça. On était des gens sérieux, responsables, fiables et on s’y connaissait en musique.”
Sérieux, fiables et bien payés: durant les interminables sessions du Good Vibrations des Beach Boys, en 1966, Blaine est ainsi payé vingt-cinq dollars de l’heure (près de deux cents dollars d’aujourd’hui), le double quand il est chargé de rassembler et diriger l’orchestre. Le batteur dira un jour qu’un nouvel album ou chanson, « c’était juste un boulot de plus. Nous ne savions jamais ce que nous allions faire avant d’arriver au studio, et de le faire« . Une remarque proférée, ironiquement, à propos du Death of a Ladies’ Man de Leonard Cohen, enregistré dans un pandémonium de musiciens et d’instruments par un Spector au bord de la folie, le doigt sur la gâchette de son flingue.
Tout sauf juste un boulot de plus. Hal Blaine et ses confrères n’étaient pas d’ailleurs de simples yes men mais au contraire, selon leur biographe Kent Hartman, de véritables “mini-arrangeurs” proposant parfois leurs idées en studio. En 1965, lors des sessions du Houston de Dean Martin, Blaine suggère ainsi d’ajouter au mix le son d’un cendrier en verre qu’il frappe avec une de ses baguettes. L’année suivante, sur l’intro de Caroline, No, l’avant-dernier morceau de Pet Sounds, lui et Brian Wilson ont l’idée de provoquer un curieux effet de percussions en frappant avec un maillet le dessous d’un fût d’eau vide.
« Cela sonnait exactement comme un coup de canon!”
En 1970, l’enregistrement de l’album Bridge Over Troubled Water de Simon and Garfunkel lui offre l’occasion d’une de ses plus brillantes interprétations. Aux studios Columbia de New York, le producteur Roy Halee lui propose de jouer la batterie de The Boxer devant un ascenseur laissé ouvert: “Quand on est arrivés au refrain, ce lie-la-lie, j’ai frappé sur ma caisse claire aussi fort que j’ai pu. Dans ce hall, juste à côté de cet ascenseur porte ouverte, cela sonnait exactement comme un coup de canon!” Pour la chanson Bridge Over Troubled Water, il va chercher des chaînes à neige dans sa voiture et s’enregistre en train de les frapper sur le sol.
La capacité d’initiative de celui qui sortit aussi une poignée de disques sous son propre nom, dont un curieux Psychedelic Percussion, lui valut de faire figure de père de studio pour plusieurs musiciens plus jeunes que lui. Brian Wilson en premier lieu, qui le qualifia de “meilleur batteur avec qui [il a] jamais travaillé » et vint lui rendre visite, lors de son très long lost weekend de la fin des années soixante, pour le supplier en vain de prendre tous ses disques d’or. Karen et Richard Carpenter ensuite, qu’il guida en studio pour trouver le ton juste lors de l’enregistrement de (They Long to Be) Close to You, le hit de Bacharach/David qui les révéla.
Ou encore, en janvier 1965, pour un guitariste timide : ce jour-là, le producteur Terry Melcher, chargé d’assister des Byrds débutants dans l’enregistrement de Mr. Tambourine Man, une composition encore inédite de Bob Dylan, décide que le groupe n’est pas au niveau et de le suppléer en quasi-totalité par le Wrecking Crew. En entrant dans le studio, Blaine salue ses connaissances habituelles et se présente à un jeune homme, visiblement stressé, une Rickenbacker douze-cordes à la main : “Ne sois pas nerveux gamin, prend une profonde respiration. Tout va bien se passer”. Le “gamin” s’appelle Jim – bientôt Roger – McGuinn, et son son de guitare s’apprête à entrer dans l’histoire.
Affectueux, Hal Blaine savait aussi être drôle en studio. On raconte que, pour titiller le sanguin Spector, il y amenait parfois un réveil-matin ou un téléphone et le faisait sonner entre les prises (« Phil, c’est pour toi« ). Il lui arrivait aussi d’y raconter des blagues, comme celle-ci : « Vous savez comment on appelle un gars qui traîne avec des musiciens ? Un batteur !” Un accès de modestie de la part de celui dont l’itinéraire nous rappelle que si l’histoire se lit parfois dans les notes de bas de page, celle du rock se lit souvent dans ses notes de pochette.
{"type":"Banniere-Basse"}