La chaîne YouTube de New Order diffuse une série documentaire intitulée « Transmissions », dans laquelle les membres du groupe mythique évoquent la genèse de leur premier album « Movement ». À cette occasion, on a rencontré le bassiste Peter Hook, le temps de revenir sur l’influence majeure de Joy Division et l’histoire mouvementée de la formation de Manchester.
« Dance, dance, dance, dance, dance, to the radio. » Ce credo qui tape au plexus est celui de Transmission, rare chanson qui fut à la fois jouée par Warsaw, Joy Division et New Order. Un titre qui sonne comme une invitation prémonitoire à de futurs déhanchements lascifs. Habitée par les échos métronomiques d’une chanson signée des allemands de Kraftwerk telle que Radioactivity. Ou comme Trans-Europe Express, qui assure pendant les concerts de Peter Hook & The Light la transition entre le set dédié à New Order et celui consacré à Joy Division.
Mais rencontrer le bassiste Peter Hook dans une librairie à Nantes à l’occasion de sa tournée, c’est surtout réaliser qu’il y a une vie après New Order. Le soixantenaire punk, affable et impeccablement moulé dans son tee-shirt Sex Pistols, a décidé de continuer à prendre l’existence comme une partie de plaisir. Comme en témoignait déjà le foisonnant récit aux éditions Le Mot et le Reste de son odyssée musicale made in Manchester.
Nightclubbing
Quasiment devenu membre d’honneur des méridionaux The Limiñanas, il a ces dernières années glissé ses miraculeuses lignes de basse sur leurs compositions. Le collier de barbe du musicien s’illumine lorsqu’il évoque les deux titres réalisés en compagnie du duo pyrénéen : « Cela montre bien que je sais jouer les vieilles chansons mais que je suis aussi toujours capable de créer des choses nouvelles. Ce qui me fait du bien. Quand on n’est plus dans un groupe, car je ne le suis plus, il n’y a plus d’aiguillon pour écrire de nouvelles compositions. Alors c’est agréable de jouer avec d’autres. La pression est moindre en plus et je finis par apprécier ça davantage« .
Pourtant, ce qui semblait n’être qu’une récréation avec les frenchies prend ces jours-ci une tournure beaucoup plus étoffée : « Les Limiñanas vont faire un troisième titre avec Peter Hook« , révèle Michel Duval, éditeur chez Because. « Mais aussi avec Iggy Pop et Laurent Garnier, qui a fait ses débuts à l’Haçienda, c’est amusant de réunir les quatre« , rajoute-t-il. Actuellement en studio, Laurent Garnier s’est connecté au bouillonnement pré-rave à l’Haçienda, fameux club de Manchester aux allures de mirage fondé par New Order.
Et c’est l’album d’Iggy Pop The Idiot qui tournait sur la platine du chanteur de Joy Division Ian Curtis lorsqu’il prit la décision de se donner la mort la veille de sa première tournée américaine. « Pour moi, The Idiot et plus particulièrement le titre Nightclubbing, était la ligne directrice, un peu claustrophobe et minimale, du deuxième album de Bruit Noir« , souligne l’un de deux instigateurs du groupe Bruit Noir Jean-Michel Pirès, déjà auteur d’un fameux hommage à Disorder.
L’impossible reformation
Iggy Pop a d’ailleurs rejoint New Order sur scène pour interpréter les titres de Joy Division Love Will Tear Us Appart et She’s Lost Control en 2014 et 2017. L’Iguane pourrait-il se révéler l’augure d’une réconciliation de Peter Hook avec ses anciens complices de New Order ? Le passif reste lourd entre les deux parties, à la mesure du trou laissé par les déboires de l’Haçienda dans les finances personnelles de l’ensemble de cette petite famille artistique. Michel Duval signale que « les avocats sont devenus très riches » à travers le différend financier entre Peter Hook et New Order, une sombre histoire de modification des pourcentages perçus par le bassiste à travers le truchement de différentes compagnies créées à la suite de la disparition du label Factory.
Pourtant, depuis l’accord conclu en 2017, après presque deux ans de bataille judiciaire, Peter Hook semble plus apaisé : « La vérité sur tout ça, explique-t-il, c’est que notre manager (NDLR : Tony Wilson) a profité de nous, s’est emparé de notre argent et l’a investi dans l’Haçienda. Parce qu’il croyait en ce projet. Et il a aussi créé au passage quelque chose qui était absolument unique. Mais on a payé pour ça. On a payé pour que Manchester soit divertie pendant seize ans. Je ne crois pas qu’un autre groupe dans le monde soit jamais allé aussi loin. Pas un seul. Et il n’y aura probablement pas à l’avenir d’autre groupe aussi stupide que New Order. Mais je ne vais pas refaire l’histoire. Je suis heureux désormais. Je suis heureux avec Manchester et je suis heureux avec l’héritage, je suis très fier de ce que nous avons achevé avec l’Haçienda aujourd’hui« .
Maintenant que Peter Hook a prouvé avec son groupe The Light à quel point le répertoire de Joy Division pouvait retrouver de son sombre éclat sur scène, on se prend à rêver d’une reformation au grand complet de New Order, revisitant au passage, dans une configuration et un élan nouveau, ce qu’a été Joy Division. Toutes les options sont sur la table. Mais probablement pas à n’importe quel prix. « Si quelqu’un leur propose 50 millions d’euros pour faire un concert, peut être qu’ils accepteront », ironise Michel Duval, ami de longue date des membres de New Order et de Peter Hook. « Là, c’est mal parti en tout cas. Mais il y a eu des retournements de situation bien plus étonnants. »
En attendant, Peter Hook s’affiche aujourd’hui aux côtés de ses anciens complices Bernard Sumner, Stephen Morris et Gillian Gilbert. Il témoigne dans une série de documentaires intitulée Transmissions sur la chaîne YouTube de New Order, consacrée à l’album Movement, bientôt réédité.
Une influence fondamentale
L’histoire de la pop est faîte de coups de théâtre mais aussi de jeux de correspondance savoureux. Fabrice Gilbert, de Frustration, groupe français évoquant régulièrement Warsaw, la formation punk qui précéda brièvement l’avènement de Joy Division, avoue s’être plongé dans Can et Amon Düül après s’être aperçu que le rock allemand avait constitué une influence majeure pour Ian Curtis : « Unknown Pleasures reste un véritable ovni en termes de son, c’est un disque spatial », remarque-t-il. Un authentique vortex musical dont l’influence n’en finit pas de se faire ressentir. « C’est l’hommage à la batterie du titre Disorder, que m’avait envoyé Jean-Michel Pirès, qui a fait émerger l’ensemble de la chanson Joy Division de Bruit Noir », raconte pour sa part le chanteur Pascal Bouaziz. Sur le premier album de Bruit Noir, celui qui se fit connaître avec Mendelson cite au moins trois textes du chanteur Ian Curtis, allant même parfois jusqu’à invoquer en concert Isolation, issu lui du deuxième album de Joy Division, Closer.
Pour Erwan Pépiot, musicien derrière Somehow, auteur du délicieux While the Days Go By, fondant comme une pop song de New Order, Peter Hook et sa bande ont changé la donne avec « l’idée qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait le conservatoire pour produire une musique marquante : leur quintessence pour moi, c’est Ceremony, ce titre charnière entre Joy Division et New Order ».
La question de la transmission est décidément ici centrale, avortée dans le cas de Ian Curtis, qui laissa derrière lui une veuve et une fille. Résonnant avec force dans le cas de Hooky, qui organisait le 2 mars dernier une vente aux enchères des disques et objets fétiches divers liés au label Factory et à Joy Division. Comme pour définitivement tourner la page sur les aspects matériels de l’épopée. Hanté par les questions de mémoire, de spiritualité et de continuité, le bassiste fit de la place à son fils Jack Bates au sein de The Light avant que celui-ci ne rejoigne The Smashing Pumpkins. Et fut confronté, à travers sa fille, qui en réchappa, à l’horreur des attentats du 22 mai 2017 à Manchester survenus à la sortie du concert d’Ariana Grande.
De quoi renforcer cette impression que le bassiste est le seul véritable survivant d’une époque. Car Peter Hook chantait déjà sur Interzone de Joy Division et sur deux titres du Movement de New Order, il est même l’un des trois piliers de Joy Division si l’on considère que le ronronnement unique de sa basse a marqué plusieurs générations de musiciens, au même titre que le chant possédé et les textes au lyrisme implacable de Ian Curtis.
Ou même que la production à couper le souffle du gourou sonique Martin Hannett. Theo Hakola, qui fit produire l’album Yellow Laughter d’Orchestre Rouge, groupe de rock français actif au début des années 80, par Hannett partage cette grille de lecture :
« Martin Hannett était un vrai chercheur en sons qui avait une oreille particulière, il fumait trop de drogue mais je ne pouvais pas ne pas apprécier son humour à froid », raconte Theo Hakola. J’ai dormi chez lui quand nous avons mixé le premier 45 tours d’Orchestre Rouge. Il vivait dans une petite maison middle class quelconque, et cela ne va probablement pas plaire à tout le monde, mais sur le poste de radio de sa cuisine, il y avait un autocollant Little Bob Story. Il était très exigeant sur la mise en place, ce qui a provoqué des tensions avec notre batteur et notre bassiste, et qui m’a amené un jour à m’exclamer : ‘Mais enfin, quand tu écoutes Johnny Thunders & The Heartbreakers, c’est pas parfaitement calé‘ Il m’avait répondu : ‘Si ! Je n’ai jamais vu un groupe autant en place que The Heartbreakers' ».
Sur l’album live quasi posthume d’Orchestre Rouge, Des Restes, deux reprises, dont une de Joy Division : Shadowplay. Seul titre de Unknown Pleasures interprété par Peter Hook lors de son concert nantais. La dernière fois qu’on avait vibré sur cette longue intro bourdonnante, c’était au Trianon, à Paris, en 2017. Or Peter Hook reviendra dans la capitale l’an prochain. Non pas aux Bains-Douches, où Joy Division avait donné un concert mythique en 1979. Mais au Bataclan.