Quelque part entre Pirandello et Jean-Marie Poiré, pirouettant pesamment sur un fil tendu entre Beckett et le cabaret d’un autre d’âge, Bertrand Blier solde de façon cafardeuse son écriture laminée par les mises en abîme.
C’est l’histoire de Christian Clavier qui rencontre Gérard Depardieu. Christian Clavier est riche et Depardieu SDF. On pense quelques secondes à Marcel Dalio et Jean Gabin plus tout jeunes, même si nous sommes bien loin de La Grande Illusion.
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Clavier, qui s’appelle Foster, rappelle à Depardieu (Taupin), qui n’est pas au courant, qu’ils doivent aller tuer un type. « Mais pourquoi ? » demande Taupin. « Parce que c’est dans le scénario ! » hurle Clavier (par ailleurs assez sobre dans le film). Car voilà l’énoncé : deux personnages en quête d’une histoire, et qui doivent jouer un scénario dont on leur fait parvenir les nouvelles modifs tout au long du film. Dans une scène, ils débarquent même dans le bureau où travaillent une grosse batterie de scénaristes (dont Alex Lutz) pour se plaindre de ce qu’on leur fait jouer.
Blier dans ses vieux travers
On se dit : « C’est rigolo ». Malheureusement, au bout de vingt minutes, une fois que l’idée a été bien exploitée, voire épuisée (on a même droit à un commentaire sur la musique du film – très belle), le film commence à patiner dans la poussière et à traîner en longueur, comme un « diablogue » trop long de Roland Dubillard. Le théâtre de l’absurde de Bertrand Blier ressemble à du Samuel Beckett de boulevard, et nos Vladimir et Estragon ont beau jouer excellemment (oui, Depardieu est une nouvelle fois génial – à la fin du film, il donne sa recette du poulet à la cocotte et on jubile), ils paraissent prisonniers d’un rond point dont toutes les rues seraient en sens unique, comme dans un vieux sketch de Raymond Devos.
Blier retombe très vite dans ses vieux travers : grossièreté allègre, provoc reloue (l’un des thèmes primordiaux et récurrents du film étant qu’il est facile pour un homme de tuer la femme qu’il aime…), machisme pépère et libidineux : petite culotte, chanteuse en guêpière (Farida Rahouad, épouse de Blier dans la vie), femme cochonne (« Je m’en suis pris plein le cul » raconte Alexandra Lamy à son mari Clavier en parlant de ses exploits sexuels avec d’autres hommes).
C’est glauquissime, encore plus lugubre que les films de Bertrand Blier de ses vingt dernières années (Les Côtelettes, Combien tu m’aimes, Le bruit des glaçons). Et c’est en fin de compte la seule réussite de ce convoi sans braves : il est contagieux et transmet sans mal son désespoir profond et sans doute sincère à ses spectateurs.
Convoi exceptionnel de Bertrand Blier (Fr./Belg., 2019, 1h22) avec Gérard Depardieu, Christian Clavier, Farida Rahouadj, Alex Lutz, Alexandra Lamy, Sylvie Testud…
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