Dans des interviews respectives données au Guardian et au New York Times, la réalisatrice du Portrait de la Jeune Fille en Feu Céline Sciamma et l’actrice Adèle Haenel font le point sur la situation actuelle de l’industrie du cinéma français.
Quand #MeToo “rate le coche” en France
Plus de trois mois après s’être exprimée auprès de Mediapart, accusant le réalisateur Christophe Ruggia de « harcèlement sexuel » et d' »attouchements » entre 2001 et 2004, alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans et lui de 36 à 39 ans – de quoi provoquer en janvier la mise en examen du cinéaste pour « agressions sexuelles sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime » – Adèle Haenel a répondu aux questions du New York Times. “Est-ce qu’on prend en compte les grandes difficultés qui jalonnent le parcours d’une femme victime de violences sexuelles ?”, se questionne la comédienne, nommée dans la catégorie Meilleure actrice aux César, dans cet entretien publié lundi 24 février.
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Selon elle, il y a un “paradoxe” quant à la gestion “politique et médiatique” des agressions faites aux femmes en France. “C’est l’un des pays où le mouvement [#MeToo] a été le plus suivi, du point de vue des réseaux sociaux”. Et pourtant, “[on] a complètement raté le coche”. Et d’ajouter : “La lenteur de la réactivité du gouvernement face au phénomène #MeToo laisse penser que les pouvoirs publics tolèrent une marge de violence sur les femmes.”
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“Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes”
Interrogée sur la récente polémique des douze nominations aux César du cinéaste Roman Polanski pour J’accuse, Adèle Haenel dit ceci : “Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, ‘ce n’est pas si grave de violer des femmes’. A la sortie de J’accuse, on a entendu crier à la censure alors qu’il ne s’agit pas de censurer, mais de choisir qui on veut regarder.” Pour rappel, le réalisateur est visé par plusieurs accusations de viol – ce qu’il nie -, dont la plus récente est celle de la photographe Valentine Monnier, qui avait témoigné dans le Parisien début novembre.
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Le cinéma français, “une industrie très bourgeoise”
Nommée au César du Meilleur Film cette année, Céline Sciamma a, dans une interview donnée au quotidien britannique The Guardian, exprimé son mécontentement vis-à-vis de l’accueil en France de son Portrait de la Jeune Fille en Feu, mais aussi concernant le sexisme de l’industrie du cinéma français. Alors que son long métrage a été reçu très chaleureusement par les festivals internationaux (Cannes, où le film a reçu le prix du scénario, Aspen…), la cinéaste considère que la critique francophone a jugé son film trop académique et froid : “En France, ils ne trouvent pas le film sexy. Ils pensent que ça manque de chair, que le film n’est pas érotique. Il semblerait qu’il y a des choses qu’ils ne peuvent pas recevoir.” Si la presse étrangère parle d’une “subtile et palpitante histoire d’amour” (The New York Times) ou encore d’une “représentation complexe, profonde d’une relation lesbienne par une femme” (Vanity Fair US), le fossé entre les deux visions de l’œuvre viendrait du fait que le cinéma français est “une industrie très bourgeoise”.
“La France est un pays où il y a beaucoup de sexisme”
“Il y a une résistance au radicalisme, et moins de jeunes au pouvoir (…) Un film peut être féministe ? Ils ne connaissent pas ce concept. Ils ne lisent pas de livres. Ils ne savent même pas que le ‘male gaze‘ [regard masculin dominateur faisant des femmes un objet de désir, ndlr] existe”, poursuit-elle, mettant en exergue le fait “que la France est un pays où il y a beaucoup de sexisme et une forte culture du patriarcat”.
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