En dépit de son apparat hollywoodien, le film le plus intime, secret et dépouillé de son auteur. Un feuilleté narratif d’une grande subtilité sur les vertus de l’idolâtrie et la toxicité de la gloire.
La notoriété dont jouit un réalisateur pourrait se mesurer à l’aune de l’imaginaire déclenché par l’annonce d’un nouveau projet de film. S’il s’agit d’un auteur prisé, on imagine le film et sa réception avant même que la première scène ne soit tournée. Dans le cas du septième film de Xavier Dolan, cas unique d’un réalisateur star élevé au rang d’icône de la jeunesse contemporaine, ce déclenchement des puissances de l’imaginaire date de décembre 2014.
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On apprenait que le prodige canadien allait tourner pour la première fois un film en anglais, avec une distribution scintillante : Kit Harington et Jessica Chastain. D’autres leur ont par la suite emboîté le pas : Natalie Portman, Susan Sarandon, Kathy Bates et Michael Gambon. A ce moment-là, on a tous l’image d’un Dolan conquérant le Tout-Hollywood et promis a minima à une nomination aux oscars. Ce devait être le film du déploiement international, celui de tous les superlatifs, le Dolan XXL (son budget est supérieur à ceux de tous les autres films du réalisateur réunis). Il n’en sera rien. Le film est mal reçu par la critique américaine et n’a, à ce jour, toujours pas de date de sortie outre-Atlantique. Et pourtant, il est l’un des meilleurs de son auteur de 29 ans.
Ma vie avec John F. Donovan est un extraordinaire contre-pied. Plutôt que de faire étalage de ses aptitudes de conquérant, d’un mouvement d’expansion, ce nouveau film est le lieu d’un repli, d’un redéploiement vers l’intime d’une complexité assez vertigineuse. La construction de son récit rappelle celle de Citizen Kane (1941), œuvre d’un autre génie précoce. Comme dans le film d’Orson Welles, Ma vie avec John F. Donovan s’ouvre sur la mort du personnage principal, l’acteur vedette John F. Donovan (Kit Harington), et se poursuit par une enquête sur le sens de cette mort. Le Rosebud du film est en la possession de Rupert Turner (Ben Schnetzer), un jeune acteur connu pour avoir dans son enfance entretenue avec John une relation épistolaire. A l’occasion de la sortie d’un livre narrant cette correspondance, Rupert est interviewé par une journaliste (Thandie Newton) avec laquelle il revient sur les circonstances de la mort de John, dix ans après les faits. Le film alterne entre le présent de l’interview et un passé scindé en deux parallèles reliées entre elles par ces fameuses lettres. D’un côté, l’enfance de Rupert, sa passion pour John et sa relation avec sa mère (Natalie Portman).De l’autre, l’ascension et la chute de John, sa relation avec son amant (Chris Zylka), son agent (Kathy Bates) et sa mère (Susan Sarandon).
Le montage du film fut compliqué. Dolan accouchant d’une première version de 4 heures qu’il a dû réduire de moitié, osant au passage supprimer intégralement le personnage incarné par Jessica Chastain. Une nouvelle fois, on imagine ce film de 4 heures comme le Dolan XXL, celui de la grande satire sur le show-business que n’est pas Ma vie avec John F. Donovan. C’est comme si face à ce trop-plein de matière, Xavier Dolan avait tranché dans le vif pour finir par se dresser un passionnant autoportrait.
Ce film est son œuvre la plus personnelle depuis J’ai tué ma mère (2009). Son titre français est, à ce titre, évocateur, Ma vie... C’est bien de celle du réalisateur dont il s’agit. Plutôt que le Dolan grande taille, le film dresse le portrait du Xavier taille S (c’est Rupert enfant), taille M (Rupert jeune adulte) et taille L (John). Les références biographiques abondent. Le premier est, comme le réalisateur, un petit garçon surdoué, acteur pour la publicité et vouant un culte à une star à qui il écrit une lettre d’admiration (il s’agissait de Leonardo DiCaprio). Le second est un jeune acteur homosexuel traité, comme Dolan, d’arrogant par une partie de la presse. Enfin, le dernier est une vedette qui vit mal sa célébrité, qui se consume dans le travail – plutôt que de prendre le temps d’aimer et de vivre –, tendances qui, de l’aveu même du réalisateur, travailleur acharné, le guettent.
Au-delà de la sublime audace du geste, à savoir retourner un film à gros budget pour en faire un enchevêtrement de trois “qui suis-je ?”, Xavier Dolan semble ici quelque peu délaisser les aspects les plus immédiatement charmeurs de son cinéma (la bande-son d’apparat, l’esthétisme ouvragé de chaque plan) pour une mise en scène plus à l’os. Si les motifs “dolaniens” sont bien présents (l’homosexualité, le rapport à la mère, l’amour impossible et l’incompréhension d’une sensibilité individuelle par la masse), ils se déploient dorénavant dans une esthétique légèrement plus brute. Complexification du fond et épure de la forme, Ma vie avec John F. Donovan marque un fascinant tournant dans la carrière de Xavier Dolan.
Ma vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan (Can., 2018, 2h03)
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