Dans un contexte de forte mobilisation populaire contre son régime, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika a annoncé lundi 11 mars renoncer à briguer un cinquième mandat et le report de l’élection présidentielle prévue en avril dans le pays. Très vite a émergé l’idée d’une manoeuvre politique de la part du régime pour se maintenir au pouvoir.
Report de l’élection présidentielle prévue le 18 avril et retrait de sa candidature pour un cinquième mandat : lundi 11 mars, dans la soirée, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a adressé un message à la nation, publié par Algérie Presse service et à lire en intégralité sur Libération. Dans un contexte de manifestations massives depuis plusieurs semaines des Algérien.ne.s, qui contestaient les velléités de réélection de celui qui occupe le pouvoir dans le pays depuis 1999, l’actuel chef de l’Etat écrit dans cette lettre “comprend[re] les motivations de nombreux compatriotes qui ont choisi ce mode d’expression”.
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Il poursuit : “Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m’assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien que la contribution à l’assise des fondations d’une nouvelle République en tant que cadre du nouveau système algérien que nous appelons de tous nos vœux. Cette nouvelle République et ce nouveau système seront entre les mains des nouvelles générations d’Algériennes et d’Algériens qui seront tout naturellement les principaux acteurs et bénéficiaires de la vie publique et du développement durable dans l’Algérie de demain.”
Une volonté de garder le contrôle sur la transition
Pourtant, nombre de voix se sont élevées depuis pour dénoncer une manoeuvre politique du Président algérien. Abdelaziz Bouteflika – ou du moins son régime – est ainsi accusé, plutôt que de réellement initier une transition démocratique et de laisser les clefs du pays, de se maintenir au pouvoir… Et donc, a fortiori, de maintenir tout le système politique contre lequel les Algérien.ne.s manifestent depuis plusieurs semaines. Comme l’expliquait aux Inrocks il y a quelques jours Benjamin Stora, historien de la guerre d’Algérie et président du Musée national de l’Histoire de l’immigration, “l’une des grandes revendications [du peuple algérien] porte sur l’enjeu de renouvellement, sur le fait de changer d’époque et de rentrer dans une forme de transparence politique plus grande (…) mais aussi de combattre la corruption”.
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En reportant l’élection présidentielle et en prolongeant in fine son mandat, Bouteflika montrerait donc plutôt “une volonté de garder le contrôle de la transition”, comme nous l’analyse par téléphone Amel Boubekeur, chercheuse en sociologie à l’EHESS et spécialiste des pays du Maghreb. “C’est ce que l’on appelle un coup d’Etat transitionnel. Une blague qui court actuellement en Algérie est de dire que, la semaine dernière, les manifestations étaient contre un cinquième mandat et que, pour le vendredi qui arrive, la contestation portera sur la prolongation d’un quatrième. Les Algérien.ne.s ont très bien compris que cette annonce était simplement une manière de rester au pouvoir.”
“Ils ne veulent pas un changement de marionnette, mais un changement de régime”
La chercheuse, présente à Alger actuellement, estime ainsi que l’annonce du Président “n’est ni une victoire ni une défaite pour le peuple algérien” et que “c’est à présent un processus de négociation qui commence” : “Les Algérien.ne.s vont continuer à manifester pour maintenir la pression. Ils ne veulent pas un changement de marionnette, mais un changement de régime. ” D’autant qu’en agissant ainsi, Bouteflika met en oeuvre une “décision anticonstitutionnelle” : la Constitution algérienne n’autorise pas le Président de reporter à sa guise une élection.
Concernant les partis d’opposition, “qui avaient émis avant même le mandat de 2014 l’hypothèse d’une transition négociée avec le pouvoir”, Amel Boubekeur estime qu’ils sont “totalement décrédibilisés auprès des Algérien.ne.s, car ils n’ont jamais apporté de solutions concrètes. Il va y avoir certainement une tentative de la part du régime de les instrumentaliser pour illustrer un semblant de pluralisme, mais cela fonctionnera beaucoup plus à l’endroit des partenaires internationaux de l’Algérie qu’à l’endroit de la population”.
Bouteflika au pouvoir à minima jusqu’à fin 2019
Dans son message à la nation, Abdelaziz Bouteflika, qui a nommé un nouveau premier ministre, revient sur la “Conférence nationale inclusive et indépendante” prévue dans son programme électoral. Celle-ci, écrit-il, “sera équitablement représentative de la société algérienne comme des sensibilités qui la parcourent. Organisera librement ses travaux, sous la direction d’une instance présidentielle plurielle, avec à sa tête un président qui sera une personnalité nationale indépendante, consensuelle et expérimentée. La conférence doit s’efforcer de compléter son mandat avant la fin de l’année 2019. Le projet de Constitution qui émanera de la Conférence sera soumis à un référendum populaire. La Conférence nationale indépendante fixera souverainement la date de l’élection présidentielle”. Le président, que les Algérien.ne.s ne voient quasiment plus depuis des années du fait de sa très mauvaise santé, restera donc au pouvoir à minima jusqu’à la fin de l’année 2019.
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