L’amitié compliquée entre un malingre toiletteur pour chiens et un colosse brutal et cocaïné. Le retour en forme et en force de Garrone avec son meilleur film depuis “Gomorra”.A travers la révolte d’un toiletteur pour chiens, Matteo Garrone tisse une fable humaine et politique qui refuse le manichéisme.
Le cinéma de Garrone semble s’épanouir au mieux dans les banlieues pouilleuses, humides et grisâtres de Naples, dont la glauquerie engendre une paradoxale cinégénie. Après Gomorra, voilà Dogman, conte cruel qui nous parle d’un certain état de l’Italie (et du monde) d’aujourd’hui, rongée par l’infernal couple misère-violence.
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Marcello est toiletteur pour chiens : il est brave, doux, malingre, affublé d’une voix fluette et d’une tête à la Buster Keaton/Luis Rego. Son pote d’enfance, Simoncino, est une brute épaisse, glandeur crypto-mafieux de son état, un cousin de Maciste ou de Pascal Brutal, voire de Mussolini. Ils pourraient former un duo burlesque à la Laurel & Hardy, mais la personnalité sauvage de Simoncino tire leur amitié et le film vers une tonalité plus grave.
Ils ont aussi un lien commercial : Marcello deale un peu de cocaïne pour arrondir ses fins de mois et payer de jolies vacances à sa fillette, Simoncino est son principal et vorace client. Coke aidant, leurs rapports vont s’envenimer, surtout quand Marcello va prendre un an de taule à la place de Simoncino pour ne pas avoir voulu le dénoncer.
Chienneries et humanisme
Par sa bonté et sa faculté à encaisser, Marcello évoque un peu la figure de Lazzaro dans le film d’Alice Rohrwacher vu il y a quelques jours. Sauf que plutôt que tendre toujours l’autre joue selon les saints préceptes catholiques, Marcello finit par se révolter contre les coups tordus et parfois physiques de Simoncino.
La présence des chiens allégorise la part animale de l’homme, comme dans la scène inaugurale ou un pittbull toute bave et crocs dehors finit par accepter la douche que lui administre Marcello à force de mots doux et de croquettes, et même par se réjouir du souffle du séchoir. Ce molosse tour à tour furieux puis câlin est parallèle à deux tendances extrêmes de notre humanité incarnées par nos deux faux frères, et Garrone filme avec autant d’attention et de précision ces deux pôles. D’un côté les scènes où Marcello passe du temps avec sa fille ou celle, extraordinaire, où il ramène à la vie un toutou givré pour avoir été foutu dans un congélo par Simoncino, de l’autre, les exactions obtuses de Simoncino.
En ces temps de Trump, de Kim Jong-un, de Netanyahou, de Daech, de Ligue du Nord, bref de chiennerie idéologique et de montée de la loi de la force, la métaphore politique de Dogman semble transparente. Mais c’est aussi une fable humaine qui dépasse son manichéisme apparent, comme le prouvent les ultimes séquences et le dernier plan, magnifiques. La misère appelle la violence, mais sous les pavés de la violence subsiste parfois la plage de l’humanisme.
Dogman, de Matteo Garrone, avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce… (It., 2018, 1h42)
Sélection : Compétition Officielle
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