En embrassant l’errance sentimentale d’une trentenaire en crise, “High Fidelity” s’avance comme une cousine américaine de “Fleabag”, l’immense série de Phoebe Waller-Bridge dont elle reprend le principe d’adresses complices au spectateur. Trop aimable et policée pour en retrouver l’intensité émotionnelle, elle séduit néanmoins par ses qualités d’écriture et d’interprétation – et sa BO résolument cool.
Cet article comporte des révélations sur l’intrigue de la série High Fidelity.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il y a presque quatre ans, Fleabag, le personnage incarné par Phoebe Waller-Bridge dans la série homonyme qu’elle avait créée, croisait notre regard et nous ébranlait à jamais. Entre cynisme dévastateur et humour incisif, elle partageait avec le spectateur ses considérations sur son entourage et sa trajectoire de vie tumultueuse. Derrière la connivence joueuse, les sourires en coin et les clins d’œil appuyés pointait une détresse profonde : la prise à partie dissimulait un appel à l’aide.
Aujourd’hui, c’est de l’autre côté de l’Atlantique, à New York plus précisément, que Rob brise le quatrième mur. Incapable de surmonter sa séparation avec son fiancé un an auparavant, cette jeune DJ propriétaire d’un magasin de vinyles interprétée par Zoë Kravitz (Big Little Lies) décide de remonter le fil de ses relations passées afin d’y démêler les nœuds psychologiques qui continuent d’entraver son vécu affectif. Commenté en apartés face caméra, ce travail d’introspection sera mis à mal par le retour en ville de Mac, l’ex désormais fiancé à une autre femme.
Une relecture ancrée dans un regard féminin
Avant d’être déclinée au format épisodique, cette chronique sentimentale douce-amère, née dans les pages d’un roman de Nick Hornby, avait été adaptée au cinéma par Stephen Frears et déclinée en musical à Broadway. C’était alors John Cusak qui prêtait ses traits mélancoliques à ce personnage en plein flottement émotionnel. Vingt ans plus tard, la série produite par ABC Signature Studio et disponible sur Hulu (vu son succès, on parie sur une diffusion française rapide) offre à la trajectoire de Rob une relecture ancrée dans un regard féminin – en termes d’écriture comme de point de vue – qui lui confère à la fois sa singularité et sa modernité douce.
>> A lire aussi : Pourquoi notre époque appartient à Phoebe Waller-Bridge
Si cette nouvelle mouture de High Fidelity se révèle immédiatement attachante, c’est en grande partie grâce à l’interprétation de son actrice principale, qui se glisse avec aisance dans la peau mal ajustée de cette trentenaire en crise. Entre vulnérabilité et égoïsme, flamboyance et tendances autodestructrices, elle offre à Fleabag une cousine new-yorkaise convaincante. Arrimées aux codes classiques des comédies post-ruptures, les turbulences qui l’étreignent sont cependant trop douces, et ses sorties de piste trop policées, pour hisser la série à la hauteur de son modèle à peine dissimulé : High Fidelity ne retrouve ni la sauvagerie comique, ni le masochisme ambigu qui conféraient à la création de Phoebe Waller-Bridge son ampleur émotionnelle.
Une chronique sentimentale attachante aux contours trop aimables
Si les adresses au spectateur de Fleabag éclairaient ses gouffres intimes et offraient un contrepoint troublant à l’action pour en révéler le potentiel chaotique, celles de Rob tendent davantage à commenter ses péripéties sentimentales et à construire une posture mi-cool mi-blasée aux contours plus aimables. C’est davantage du côté de la BO, constituée de pépites soul – rock pointu sans être élitiste (on y croise Fletwood Mac, Minnie Riperton et beaucoup de Bowie – on ne va pas s’en plaindre), que l’intériorité du personnage trouve une surface de projection originale.
On regrette également que la modernité de la série se réduise souvent à un esprit woke de façade, encapsulé dans des saynètes didactiques (ici les employés du magasin débattent de la séparation entre l’homme et l’artiste, là Rob et son partenaire tombent sur un parangon de masculinité toxique) sans parvenir à infuser le reste de la narration, soumise à une architecture classique. Et l’on a parfois du mal, il est vrai, à croire à la fragilité professionnelle pourtant mise en avant d’un personnage évoluant avec aisance et sans problème financier dans le New-York le plus branché (on est loin d’un Vernon Subutex, collègue français nettement plus en prises avec les difficultés économiques qui étreignent le monde contemporain et leur profession commune).
De l’obsession de soi à la conscience des autres
Ces réserves mises de côté, High Fidelity se dévore comme une chronique sentimentale bien ficelée, et dévoile au fil des épisodes des thèmes plus profonds que les archétypes balisés explorés dans ses premiers mouvements. En prenant conscience de sa tendance à appréhender son vécu amoureux dans le regard de ses ex, Rob se libérera peu à peu d’une peur du jugement pour approcher frontalement ses émotions.
Dans un glissement presque contradictoire, elle comprendra également que son obsession pour ses failles personnelles confine à l’égoïsme et relègue en hors-champ le vécu tout aussi compliqué (sinon plus) des êtres qui l’entourent. Dans une société autocentrée obnubilée par l’autoanalyse, le meilleur moyen pour aller mieux est parfois de s’oublier un peu et de prêter attention aux gens qui nous entourent.
https://youtu.be/r5bkbfdVzbI
>> A lire aussi : “Sex Education”, la série teen qui mêle crudité et justesse
High Fidelity, de Veronica West et Sarah Kucserka, avec Zoë Kravitz, Jake Lacy, Da’vine Joy Randolph… Sur Hulu.
{"type":"Banniere-Basse"}