Après un mois de conflit, la négociation entre l’exécutif, la direction et les grévistes est au point mort malgré la nomination d’un médiateur.
« Sous le Gallet, la rage.” Dans les couloirs de Radio France, des affiches de fortune racontent sur les murs blancs la vérité sourde d’un climat tempétueux. La rage revendiquée par les salariés de la radio publique concentre des sentiments multiples : la révolte et l’amertume, la fatigue et l’inquiétude, la méfiance et l’impatience. Après quatre semaines de grève – le plus long conflit social de l’histoire de la radio publique –, une issue se profilerait-elle enfin dans le bras de fer tendu qui oppose le patron de Radio France et les grévistes ?
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La nomination, annoncée le 9 avril, d’un médiateur, Dominique-Jean Chertier, laissait espérer la fin de la grève. L’heure de l’apaisement semblait avoir enfin sonné, à défaut d’un dénouement total. Ancien directeur général de l’Unedic, spécialiste des négociations sociales ardues, Chertier, à l’écoute, a tout de suite déployé une certaine habileté. La ministre de la Culture Fleur Pellerin se félicitait même, lundi matin, du texte de propositions remis la veille à la direction et aux syndicats ; un texte qui ouvre, selon elle, “la voie d’un compromis permettant une sortie du conflit”.
Pourtant, les tensions étaient réapparues dès la deuxième séance de négociations samedi dernier. Philippe Ballet, délégué UNSA, regrettait que le médiateur n’ait pas “la possibilité d’aller plus loin sur les points de blocage”, notamment sur la mutualisation à France Bleu et les formations musicales permanentes de Radio France. “L’incompréhension est le maître mot”, se lamentait le syndicat CFDT Radio France.
« La politique de la chaise vide, au risque de foncer dans le mur »
Le point d’acmé du conflit avait été atteint trois jours avant, le 8 avril, lorsque les syndicats quittèrent la salle du comité central d’entreprise extraordinaire où Mathieu Gallet devait présenter son projet stratégique pour l’entreprise, validé la veille par sa tutelle. Ce refus du dialogue par l’intersyndicale fut dénoncé le jour même par le Syndicat national des journalistes qui regrettait “la politique de la chaise vide, au risque de foncer dans le mur” : une “irresponsabilité” et une occasion ratée d’obtenir du pdg des précisions sur son projet.
Fondé sur quelques pistes – conversion au tout-numérique, diversification des activités, modernisation de l’entreprise –, le projet de Mathieu Gallet vise à retrouver un équilibre budgétaire. Il préconise l’ouverture des antennes à plus de recettes publicitaires (ce qui fâche les radios privées), tout en espérant gagner des ressources avec les pubs sur le numérique. Une dotation complémentaire de l’Etat (on parle de 80 millions d’euros), pourrait, en outre, donner un peu d’air à la direction confrontée au gouffre financier du chantier de la Maison de la radio, l’un des sujets clés, en plus du plan de départ visant trois cents à trois cent quatre-vingts salariés.
Un déficit de 21,3 millions d’euros
Au-delà des multiples motifs à l’origine de la grève – réforme des modes de production, maintien des effectifs dans le réseau France Bleu et des quatre formations musicales de Radio France –, le plan de réduction d’emplois risque d’attiser les tensions. Avec un risque de blocage car s’engager sur les revendications des grévistes reviendrait à rendre impossible le rétablissement de l’équilibre budgétaire que l’Etat demande pour 2017 (le déficit de Radio France s’élève à 21,3 millions d’euros cette année, en raison d’une stagnation des dotations publiques, consubstantielles à l’augmentation des charges). Alors, radicalisation ou assouplissement des grévistes, ouverture d’esprit ou rigidité de la direction ? Tous les scénarios restent ouverts, mais la médiation risque d’être longue.
Après ces quatre semaines de conflit, on peut en tout cas retenir au moins quatre enseignements : un gâchis, une fierté, une fêlure, un attachement. Quelles que soient les responsabilités de Mathieu Gallet, de ses prédécesseurs ou des divers ministres, cette crise a révélé un malaise de l’audiovisuel public, dont le producteur Philippe Kieffer notait sur huffingtonpost.fr qu’il était “infiniment plus profond, impossible à circonscrire au seul périmètre de Radio France”. Le président de la Cour des comptes Didier Migaud l’a reconnu lui-même sur France Info : “L’Etat a insuffisamment précisé les objectifs qu’il fixe à une radio de service public.”
Réaffirmation d’une identité et clivages internes
Pour autant, la désinvolture de l’exécutif a permis à un collectif de salariés, au cœur même de son inquiétude, de réaffirmer son identité et de rappeler la spécificité de ses métiers. Comme une sorte de fierté commune retrouvée, par-delà les cultures propres à chaque station et rédaction. Exemple de cette lutte partagée : la création de la Sparf (Société des producteurs associés de Radio France), réunissant pour la première fois les producteurs des différentes chaînes. Dans toutes les AG, les valeurs du service public et le refus de la marchandisation se sont dégagés comme motifs de revendication essentiels.
En même temps, des clivages internes sont apparus, plus nets qu’avant, comme si la thérapie collective avait révélé aussi des fêlures. La différence d’analyse politique et stratégique sur la suite à donner au mouvement n’est pas le seul clivage perceptible entre journalistes et producteurs. Outre la traditionnelle opposition entre rédaction et programmes, d’autres divisions internes se sont détachées. Question de générations – les jeunes producteurs face aux briscards accrochés à leurs vieilles branches – et question de statut – les précaires et pigistes, fragilisés, face aux salariés, protégés… Parmi les effets possibles du conflit, il n’est pas exclu que ces différends se soient creusés.
A cette identité collective à la fois réaffirmée et fissurée, ont fait enfin écho, tout au long de ces quatre semaines, les signes d’un profond attachement des auditeurs à leurs radios. Partout, on a pu percevoir les indices de ce lien affectif. Comme dans ce texte de l’écrivaine Hélène Frappat : “Depuis plusieurs semaines, les voix que les auditeurs de Radio France accueillent quotidiennement chez eux se taisent. Par leur silence, ces voix devenues fantômes désignent la place familière qu’elles occupent dans chaque maison. Voix de l’aube qui aide à passer la frontière incertaine entre le sommeil et le jour ; voix du matin dont le spectre s’élargit, comme le ciel au-dehors s’éclaire ; voix qui dispute à midi ; transmet l’après-midi ; raconte au crépuscule ; et la nuit, tient compagnie, rêve, console. Ces voix nous manquent.” Cette grève est l’histoire d’un manque, multiforme : un manque d’argent, de stratégie, de dialogue, de voix, étouffées par la rage, ensevelies sous les galets et les fleurs fanées.
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