Après le très politisé « A Seat at the Table », Solange fait un pas de côté avec un disque et un moyen métrage qui explorent son rapport à ses racines. Une ode sonore et visuelle à sa ville natale.
La musique de Solange s’écoute. Elle se regarde, aussi. Avec son troisième album A Seat at the Table, celui qui l’a érigée comme l’une des voix les plus inspirantes de la scène américaine en 2016, la cadette Knowles s’est créé un langage unique, à la fois sonore, visuel et corporel. Un nouveau cosmos fait de chansons engagées (Don’t Touch My Hair), de clips artistiquement singuliers (Cranes in the Sky) et de performances tenues dans des lieux aussi prestigieux que le musée Guggenheim de New York ou la Tate Modern de Londres, au travers duquel elle célébrait l’unité de la communauté africaine-américaine, réaffirmait la beauté des femmes noires et condamnait le racisme ambiant aux Etats-Unis.
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Hommage à Houston
C’est ce langage, protéiforme et politique, que l’Américaine de 32 ans précise aujourd’hui avec son nouvel album When I Get Home, dévoilé par surprise le 1er mars dernier (soit à mi-chemin entre le Black History Month et la Journée internationale des droits des femmes). Composé de dix-neuf pistes, ce disque se lit comme une ode aux racines de Solange, et surtout à sa ville natale de Houston, ô combien importante dans la mythologie des Knowles (de Haunted à Jealous en passant par ***Flawless, les titres constituant l’album Beyoncé (2013) de sa sœur aînée sont truffés de référence à H-Town).
Le film de 33 minutes qui accompagne et illustre ce nouveau long format, sobrement baptisé When I Get Home – A Texas Film, explicite un peu plus cette notion de retour aux sources. Disponible sur Apple Music, il expose une succession de tableaux qui, ensemble, contribuent à sculpter le Houston rêvé de la chanteuse : celui dans lequel des groupes de cow-boys noirs galopent le long des trottoirs de béton, où les bâtiments ont des allures de sculptures géantes et où retentissent les voix de l’actrice Phylicia Rashad et de la poète Pat Parker, toutes deux natives de la métropole texane.
La notion d’espace-temps au centre de l’album
Mais contrairement à A Seat at the Table, qui délivrait un message urgent, ancré dans le présent, When I Get Home brouille la notion d’espace-temps et nous transporte dans un univers onirique où les mots flottent, un monde lointain où s’entremêlent avec poésie visions exaltées, rêves prémonitoires et souvenirs imaginés (“I saw things I imagined”, chante Solange sur le morceau d’ouverture). “J’avais manifestement énormément de choses à dire avec ‘A Seat at the Table’, expliquait-elle lors de la projection du film à Houston début mars. Avec ce nouvel album, j’avais davantage de choses à ressentir. Les mots auraient été réducteurs par rapport à tout ce que j’avais besoin d’exprimer. Tout repose ici dans les sons.”
Une ambiance quasi méditative
Inspirée par des artistes comme Sun Ra, Alice Coltrane ou Stevie Wonder, la façon dont elle interprète les titres de When I Get Home est ainsi marquée par un jeu permanent de répétition (“We were down with you, down with you”, entonne-t-elle sur Down with the Clique, avant d’évoquer les “brown skin, brown face, black skin, black braids” dans Almeda) qui lui permet de transformer ses paroles en de véritables mantras, et d’instaurer une ambiance quasi méditative.
Cet état de songe est renforcé par des productions ambiantes qui empruntent aussi bien au jazz, au hip-hop, à la soul qu’au funk. Dirigées par Solange, elles ont été nourries par le travail de quelques-uns des acteurs les plus novateurs de la scène musicale actuelle, de Pharrell Williams à The-Dream en passant par Tyler, The Creator ou Chassol (que l’on retrouvait déjà sur Blonde de Frank Ocean).
Un album intimiste
Pour autant, malgré la quantité de noms cités dans les crédits de When I Get Home, celui de Solange flotte, conquérant, au-dessus du lot (“All lyrics and melodies written by Solange Knowles”, nous informe-t-on). Et pour cause : à l’heure où la majorité des superstars américaines, dont sa sœur Beyoncé, font appel à une horde de collaborateurs pour aiguiser leurs textes, Solange, tout à la fois auteure, interprète, productrice, réalisatrice, chorégraphe et performeuse, tient à garder un contrôle total sur sa musique, conservant avec elle un rapport intime et personnel.
L’affirmation “I can’t be a singular expression of myself ; there’s too many parts, too many spaces, too many manifestations”, prononcée sur Can I Hold the Mic, semble parfaitement résumer l’ADN profond de When I Get Home : une œuvre à la fois singulière et multiple, qui permet à sa créatrice d’exprimer toute la richesse de son art – et de s’autoriser à rêver, toujours plus loin.
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