Un film de braquage par le cinéaste de Margin Call. L’efficacité du thriller se dissout dans la pesanteur démonstrative de la fable.
S’il y a une chose En commun à retenir DE “Faites entrer l’accusé”, Agatha Christie et Hitchcock, c’est que la difficulté ultime d’un meurtre ne réside pas dans l’acte de tuer, mais plutôt de faire disparaître le corps. Et si c’était la même chose pour un braquage ? Et si la complexité du geste n’était pas de dérober l’argent mais de le faire disparaître, le faire dormir, comme on dit ? C’est le sujet de Triple frontière, film d’après-braquage plutôt que de braquage.
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Alors que l’architecture du film de casse – et son irrésistible saveur – repose davantage sur la préparation méticuleuse du plan et sur son exécution que sur la cavale qui s’ensuit, Triple frontière propose l’inverse. En condensant les préparatifs de l’opération et le braquage en 45 minutes, montre en main, le récit avance au même rythme effréné et imperturbable que le commando de braqueurs. Et si le coup est parfait, ces derniers ne prévoyaient pas un magot aussi gigantesque. Une masse de billets verts démesurée, un trop-plein d’argent qui n’est bien sûr pas un obstacle en soi mais qui va bientôt le devenir, comme un amas de chair trop encombrant qu’il faut dissoudre après un meurtre.
Après son remarquable premier long métrage, Margin Call, qui suivait une équipe de traders la veille du krach financier de 2008, puis A Most Violent Year, portrait d’un hispanique voulant s’immiscer dans le business du pétrole, la caméra de Chandor est décidément fascinée par la contamination de l’argent et la destruction qu’elle entraîne sur ses possesseurs. Si les gangsters chez Scorsese ou Coppola trouvent leur perte à cause de leur soif de pouvoir et de contrôle, la descente aux enfers des personnages “chandoriens” naît d’une simple main tendue vers une liasse de billets, comme une maladie incurable infectant l’épiderme. Mais à l’inverse des précédentes œuvres du cinéaste, cette substance thématique prend ici totalement le pas sur le thriller et en neutralise ses effets, son efficacité.
En lui préférant la fable morale imposante (on pense à L’Argent, chef-d’œuvre de Bresson sur un sujet similaire), Chandor enduit ses images d’un discours beaucoup trop édifiant. Un esprit de sérieux écrasant qui sacrifie toute tension et frémissement chez son spectateur, obligé d’encaisser, durant la dernière heure, une longue course-poursuite en forme de chemin de croix vers la repentance. Comme trop distrait par l’énoncé de sa fable, le cinéaste aurait finalement oublié d’en faire le bon divertissement qu’il avait entre les mains, de concilier fun et intelligence en lieu et place de cet objet trop terne.
Triple frontière de J. C. Chandor (E.-U., 2019, 1 h 53). Sur Netflix
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