Notre journaliste raconte de l’intérieur la montée des marches cannoise du samedi 14 mai. 82 femmes ont appelé à la parité et à l’égalité salariale tout en protestant contre le manque de films réalisés par des femmes dans l’industrie cinématographique.
« Ecoutez-moi tous », demande Julie Billy, productrice et co-fondatrice avec Bérénice Vincent et Delphyne Besse du Deuxième Regard, le réseau qui milite pour l’égalité homme-femme dans l’industrie, à l’origine du collectif 5050 pour 2020. La jeune femme se reprend avec un sourire, « écoutez-moi toutes ». Pas besoin que le masculin l’emporte, pas d’homme en vue dans le sous-sol du palais cannois. Les instructions pour la montée sont données et Cate Blanchett apparaît gracieuse dans sa robe noire où elle a épinglé un pins « 50/50 ».
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« 82 : c’est le nombre de films réalisés par des femmes en Compétition officielle depuis 1946 »
Dans la main de l’actrice australienne, les feuilles de papier de son discours. Plusieurs lignes sont raturées, le texte a vécu. Dans quelques minutes, la présidente du jury le lira avec Agnès Varda à ses côtés pour la version française. Les consignes sont simples, on avance par rang de 10, on monte les marches et on se retourne pendant les discours. La cinéaste Céline Sciamma explique juste avant notre entrée sur le tapis rouge qu’on peut se prendre la main ou par le bras quand on avance. L’excitation monte, Rebecca Zlotowski met ses doigts dans sa bouche et siffle comme un loubard, pour qu’on baisse d’un ton. A voix basse, elle dit en souriant qu’elle a devant elle le meilleur casting qu’elle pourrait imaginer. Kirsten Stewart, Marion Cotillard, Virginie Ledoyen, Céline Salette, Salma Hayek, Léa Seydoux. Moteur, ça tourne. Action. On avance.
« 82 : c’est le nombre de films réalisés par des femmes invitées à concourir en Compétition officielle depuis la première édition du Festival en 1946. Dans le même temps 1 688 hommes ont pu grimper ces mêmes marches. » Facétieuse, Varda reprend le texte de Blanchett et ajoute une nuance. Lorsque la présidente annonce que la Palme d’or a été attribuée seulement à deux femmes contre 71 réalisateurs, Varda rajoute que la sienne était honoraire, celle de Campion ex-aequo.
Rendre visible
Ce que demande le collectif est limpide : organiser la parité, appliquer les lois sur l’égalité, notamment salariale. En France le salaire d’une réalisatrice est 42 % inférieur à celui d’un réalisateur. Dès le lendemain, une charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma est signée par les délégués du festival, Thierry Frémaux, Charles Tesson et Paolo Moretti. Ils s’engagent à genrer les statistiques, à rendre transparente la liste des membres des comités de sélection (le comité « fantôme » de Frémaux aura donc des visages et des noms) et à s’engager pour à terme parvenir à parité dans les instances dirigeantes. Libération rapporte la phrase de Frémaux à la signature « En fait, faut qu’on laisse notre place, quoi ! »
Pourtant, alors que nous occupions le tapis rouge, toutes serrées les unes contres les autres, émues, prenant conscience que nos corps incarnent ces 82 films de femmes et on se dit qu’on prend très peu de place. Mais au moins nous sommes visibles, on peut nous compter, on peut voir le problème, le représenter. La phrase de Godard dans Le livre d’image présenté il y a quelques jours en compétition officielle refait surface : « la représentation, plus précisément l’acte de représenter (et donc de réduire) implique presque toujours une violence envers le sujet de la représentation. Il y a un réel contraste entre la violence de l’acte de représenter et le calme intérieur de la représentation elle-même ».
Nos 82 corps vont devenir une image. Une image qui peut-être deviendra historique, en incarnant le premier festival post-MeToo et Times’Up. Une image qui, peut-être, réduit l’ampleur du problème, qui le simplifie. Mais en haut des marches, c’est un tourbillon d’espoir qui émerge. Et si on réussissait à vraiment bousculer le système ? Cette année, trois réalisatrices présentent un film en compétition officielle : Alice Rohrwacher, Eva Husson et Nadine Labaki. Le dernier film de cette dernière s’intitulait « Et maintenant on va où ? ». On y va.
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