Guillaume Senez fait avancer son récit par touches pointillistes et dessine, à travers de longues séquences improvisées, un film social aéré et mystérieux.
Le cinéma dit social, celui qui s’obstine à raconter la vie des pauvres, oublie parfois d’être du cinéma. Ce n’est pas le cas de Nos batailles, second long-métrage de Guillaume Senez, après Keeper en 2015. C’est que les gens, chez Senez, ont certes des problèmes, mais pas seulement : ils ont aussi des joies, des amours, des ruptures, des coups d’un soir, des gestes ou des conversations qui ne font pas avancer la sacro-sainte fiction ; ils ont surtout des secrets. Des secrets qui s’ouvrent délicatement et ne se ferment jamais complètement. Le cinéaste franco-belge fait ainsi avancer son récit par touches pointillistes, qui se dessinent lors de longues séquences improvisées, et d’où se détachent, si l’on veut bien y regarder de près, des zones blanches, des mystères non élucidés. De l’air.
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Romain Duris à son meilleur
Le film est centré sur la figure de Romain Duris, ouvrier qualifié et chef d’équipe dans un entrepôt de marchandises vendues online (type Amazon), dont la femme se tire, et qui doit du jour au lendemain réorganiser sa vie. Le monde du travail est ici filmé avec une grande précision, dévoilant les mécanismes de l’exploitation contemporaine, insistant sur la matérialité des choses, quand leurs échanges tendent à se dématérialiser. Mais Senez est tout aussi précis sur l’économie du foyer, sur le poids de certains gestes tellement intériorisés (comme préparer un petit déj, habiller des enfants) qu’on ne les remarque plus, jusqu’au jour où il faut les réapprendre, par nécessité.
La force de Nos batailles est en somme de montrer, tout en délicatesse, comment chez les travailleurs tout tend justement à être travail, soumis à des cadences, de plus en plus infernales, rognant sur la gratuité, le don, le loisir. Romain Duris est ici à son meilleur, d’une fragilité jamais geignante, qui évite l’écueil habituel de ce genre de rôle : les tics pour faire prolo. Quant aux femmes qui l’entourent (l’épouse Lucie Debay, la mère Dominique Valadié, la collègue syndicaliste Laure Calamy, et surtout la sœur Laetitia Dosch), elles ne sont pas des faire-valoir mais d’authentiques personnages, aussi, voire plus émouvantes que lui. Les batailles sont également les leurs.
Nos Batailles, de Guillaume Senez, avec Romain Duris, Laetitia Dosch, Laure Calamy (Fr., 2018, 1h38)
Sélection : Semaine de la Critique
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