A priori, l’homme est un parangon de virilité. Voire un symbole du machisme américain classique. L’homme c’est Clint Eastwood évidemment. Mais si on y regarde de plus près, l’affaire risque de prendre un tour un peu plus compliqué.
Derrière les apparences de la normalité hétérosexuelle du personnage se cachent peut-être quelques turpitudes inattendues. Pour creuser un peu plus la question, il faut remonter assez loin. Au début des années 1970, Clint Eastwood est surtout l’homme sans nom de la trilogie du Dollar, c’est-à-dire les trois premiers westerns de Sergio Leone. De retour aux USA, il enchaîne, coup sur coup, deux films – l’un comme acteur, l’autre comme metteur en scène et acteur – qui vont dévoiler une part cachée de son imaginaire sexuel : Les Proies de Don Siegel et Un Frisson dans la Nuit (Play Misty for me), son premier long-métrage en tant que réalisateur. Deux films dans lesquels Clint est mis à mal par des femmes qui retournent comme un gant cette image virile qui lui colle déjà à la peau. Deux films où notre héros est engagé dans un trouble jeu de rôles sexuel dont il finit par être la victime.
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Prédateur ou objet sexuel?
Dans Les Proies, Eastwood est John Mc Burney, un soldat nordiste grièvement blessé recueilli, à la fin de la guerre de Sécession par les femmes, jeunes et moins jeunes, d’un pensionnat de jeunes filles. De son état d’impuissance initiale, le soldat va d’abord passer à une manière de surpuissance virile qui lui permet de séduire le gynécée dans son ensemble ou presque. Mais le doute est déjà là : est-il le prédateur sexuel qu’il prétend être ou l’objet d’un jeu sexuel entre femmes qui le dépasse ? Bien évidemment, tout cela va gravement dégénérer et le soldat Mc Burney va connaître dans sa chair l’angoisse de la castration puisqu’il est amputé d’une jambe. En réalité, notre homme Clint devient maintenant la proie des femmes qu’il prétendait dominer sans partage. Elles vont le dévorer et l’homme surviril qu’il était devient une créature au masochisme sans limite.
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Un an plus tard, rebelote ! C’est donc Un Frisson dans la Nuit, en 1971 Cette fois, Clint est derrière et devant la caméra mais il se donne à nouveau le rôle d’un homme tourmenté et trouble, celui de Dave Garver, DJ dans une station locale du Nord de la Californie à qui sa libido trop active et la liberté sexuelle de ce début des seventies vont jouer quelques tours. Poursuivi par une femme avec lequel il a manifestement connu un grand plaisir sexuel, il va passer, là encore, d’une position de sujet désirant et maîtrisant à celle d’un objet qu’on a envie de maltraiter ou de détruire, comme en témoigne cette séquence, à peine métaphorique, où son portrait est lacéré de plusieurs coups de couteaux. Au passage, Eastwood invente le thriller sexuel ou presque… Et surtout, il affirme cette posture masochiste qui sera comme le pendant et l’envers de l’apparente toute puissance qu’il affiche dans les Dirty Harry ou dans Firefox.
Cette puissance masochiste, Eastwood va d’ailleurs la transporter dans des contextes nettement moins sexués. Comme dans Honkytonk Man, par exemple, où il incarne un chanteur country tuberculeux en fin de parcours. Ce qui ne va pas l’empêcher de revenir, cette fois-ci encore plus explicitement, aux relations SM, dans La Corde Raide (1985) qu’il ne réalise pas lui-même – c’est Richard Tuggle qui s’en charge –, ce qui ne change rien au propos. Cette fois, Clint est un flic, la quarantaine, un peu à la dérive, qui enquête sur un maniaque qui assassine des prostituées. Problème : les deux hommes ont le même goût pour le sadomasochisme et, donc, des pratiques qui se rapprochent dangereusement. Le jeu de miroir est ici explicite et l’icône Eastwood bascule dans un monde à la Verhoeven (disons Basic Instinct) ou à la Friedkin (période Cruising) à l’atmosphère sexuellement bizarre et vraiment torturée.
La star n’ira pas vraiment plus loin dans son plan maso. Comme s’il avait atteint la limite au-delà de laquelle il risquerait de basculer définitivement de l’autre côté du miroir sexuel. Pourtant, un autre de ses films mérite tout de même notre attention : Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal (1997). Cette fois-ci, Clint n’est pas sur l‘écran et il n’est plus vraiment question de SM (encore que…). Non, l’intérêt est ailleurs. Plus particulièrement, dans la description d’une mini-communauté gay au cœur de la ville sudiste, et donc forcément moite, de Savannah. Avec, au centre de cette communauté, un personnage fantastique : Lady Chablis, travesti noir qui, si j’ose risquer l’expression, n’a pas sa langue dans sa poche. Cette figure sexy et pleine d’humour prend même, pendant un moment, le pouvoir sur la fiction au point que c’est d’abord d’elle dont on se souvient quand on se remémore ce film qui est, sûrement, un des plus étranges dans la longue carrière du grand Clint.
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Pour un des cinéastes les plus typiquement hétérosexuel, ce focus sur Lady Chablis est un geste littéralement renversant qui tient à la fois d’une attirance prononcée pour les marginaux (une goût présent dans beaucoup de ses films, de Josey Wales à Bird…) mais aussi d’une manière de s’ouvrir, sans détour, à une autre forme de sexualité que la sienne. Car, dans Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal, le personnage le plus séduisant, le plus flamboyant, le plus remarquable, c’est bien, sans contestation possible, Lady Chablis. Comme si, décidément, en matière de sexualité, l’artiste Clint Eastwood était vraiment un type bien plus compliqué, bien plus déviant mais aussi bien plus cool ou ouvert qu’on aurait pu le croire.
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