Imprégnées de sensualité et instillant le doute quant à ce qu’elles représentent, les œuvres du photographe sont exposées à la Maison européenne de la photographie, à Paris. Evocation d’un artiste chinois qui se donna la mort en 2017, à l’aube de ses 30 ans.
C’est un artiste que j’aurais aimé interviewer. Certainement parce qu’étant née la même année – 1987 – que lui, un processus d’identification mêlé d’une curiosité générationnelle s’est immédiatement déclenché chez moi. Mais surtout parce que son œuvre photographique est d’une obsédante insaisissabilité. Ça vous happe d’un coup d’un seul, à peine le regard a-t-il effleuré l’image, le sentiment s’imprime, mélodie entêtante.
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Ses photos dégagent un mélange de douceur, d’érotisme et de malice, reflets d’un monde nouveau, le sien, où les corps féminins et masculins, graciles, se confondent, où la légèreté a le goût de l’enfance, et le sexe se fait joueur. Pop et libérée, sa photographie ne dit pas la dépression dont il souffrait et qui le conduisit à se défenestrer un vendredi après-midi de février.
Nous étions en 2017, il n’avait que 29 ans. Ou peut-être que si, justement, comme s’il n’avait eu de cesse de chercher à capturer la jeunesse en s’attachant à toute cette chair, tout en sachant pertinemment que personne ne gagne contre le temps qui passe, démembrant déjà les corps de ses modèles transformés en sculptures, comme pour mieux exprimer la vanité environnante.
Entrelacs de bras et de jambes
La rétrospective que lui consacre la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris, est une belle occasion de se replonger dans son œuvre foisonnante. Emaillées de motifs récurrents (cheveux noirs, bouches rouges, toits d’immeubles, animaux, forêts diurnes et nocturnes, sexes en gros plans…), ses photos sont regroupées par thèmes, offrant une promenade d’impressions esthétiques loin de toutes considérations spatio-temporelles.
Car il y a cette volonté très claire chez Ren Hang de ne pas coller complètement à la réalité, d’en proposer une lecture tour à tour joueuse et distante, lointaine et rêveuse. Entrelacs de bras et de jambes, vagues de fesses, méli-mélo de sexes, têtes désaxées avec ici une fleur, là une clope, langue sur l’aisselle, visage en nénuphar.
La poésie se fait surréaliste. Comme chez ce fameux paon accolé à une jeune femme d’une beauté saisissante (tout le monde est très, très beau ici), l’œil de l’un remplaçant celui de l’autre, volonté à peine dite de thérianthropie, transformation d’un être humain en animal. Même chose chez ce jeune homme et son iguane à l’épaule, tels des siamois.
Doigt d’honneur à la société chinoise
La série la plus déstabilisante restant celle réalisée à partir de 2010 avec sa mère, corps différent, plus mature, plus gros, plus affaissé, dont une photo où on le voit affublé d’une tête de cochon. Sens et messages flottent, indéterminés. Seul demeure fièrement dressé ce doigt d’honneur à la société chinoise.
« La nudité est banale »
Et encore, mis à part le court métrage documentaire I’ve Got a Little Problem qui retrace ses démêlés avec la censure – que la MEP projettera – Ren Hang s’est toujours gardé de tenir des discours politiques, allant même jusqu’à expliquer au British Journal of Photography en 2014 : “Je ne pense pas que la nudité soit un challenge. La nudité est banale, tout le monde l’a. J’aime les gens nus et j’aime le sexe ; j’utilise la nudité afin de me sentir plus en présence du réel.”
Dans sa monographie publiée par Taschen, il disait même : “Les idées politiques exprimées dans mes images n’ont rien à voir avec la Chine. C’est la politique chinoise qui veut s’introduire dans mon art.” Aucun jugement ni parti pris, Ren Hang se contente de libérer les corps de toute référence contextuelle pour les ramener à leur état de nature dans une quête de vérité pure et réjouissante.
Le sexe ne fait ni bander ni mouiller, mais propose un érotisme autre, sans fioritures et rehaussé d’un léger second degré, pastille pop qui dédramatise pénis, seins et vulves. Né à Changchun, dans le nord-est de la Chine, d’un père cheminot et d’une mère ouvrière, Ren Hang déménage à Beijing en 2006 et suit des études de marketing et de communication. Mais il s’ennuie et ne tarde pas à se lancer dans la photo à l’aide d’un Minolta.
“C’était un photographe brillant, estime le Britannique Simon Baker, ancien de la Tate et tout nouveau directeur de la MEP. Il a tout fait à l’aide d’un appareil photo pourri et d’un flash. Pas d’assistant, de studio ni de lumières. Il shootait tout dans son appartement ou les parcs alentour, avec ses ami.e.s ou bien des mannequins qui postulaient sur Weibo ou son site.”
Hang est en quête de spontanéité, d’insouciance et de jeunesse. Paradoxalement, ses images dégagent un incroyable sens de la mise en scène. “Je ne prends pas mes photos avec un plan en tête. J’attrape ce qui me traverse l’esprit, j’arrange ce qu’il y a en face de moi et je prends une photo. Les poses peuvent sembler complexes mais elles ne le sont pas.”
On pourrait le rapprocher d’Araki pour le côté cul, de Ryan McGinley pour la jeunesse explosive ou encore de Guy Bourdin, photographe de mode français au doux surréalisme, comme le suggère Simon Baker. Ren Hang admirait lui le Japonais Shuji Terayama. “Les photos et les films de Terayama me donnent des orgasmes. C’est comme jouir mais sans se masturber”, lâchait-il au BJP.
Sexe et depression
A son tour vénéré par les jeunes communautés artistiques chinoises et occidentales, Ren Hang avait été publié dans Boys Don’t Cry, le magazine de Frank Ocean. Et une de ses images, un sexe féminin entouré d’un cœur dessiné au rouge à lèvres, avait fait la couverture d’un numéro sexe des Inrocks (été 2014).
Quand il ne photographiait pas, il écrivait des haïkus bourrés de sexe et de dépression, qu’il postait sur son site. Dont celui-ci : “La jeunesse est très mince/Une brise peut l’emporter/Quand elle revient/Avec un cercueil à obésité.”
Photographe aussi évanescent que ses sujets, personnage à la douce anormalité, Ren Hang a depuis longtemps débordé du cadre de la scène photographique chinoise pour devenir l’icône d’une génération née à la fin des années 1980, en proie au sentiment d’abandon et à l’individualisme néolibéral, luttant pour retrouver une communauté charnelle. Et puis du sens, tout simplement.
Love, Ren Hang Jusqu’au 26 mai, Maison européenne de la photographie, Paris IVe
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