Avec Broute, parodies du site Brut, Bertrand Usclat endosse en deux minutes tous les travers et clichés de l’époque. Et se révèle roi de l’absurde 2.0.
Tout va très vite dans la vie de Bertrand Usclat en ce moment. L’année qui vient de s’écouler, il l’a “grillée” comme une Gitane sans filtre. Près des locaux de Canal +, à Boulogne, il marche prestement et parle avec un débit rapide. Le comédien à l’allure juvénile (il a 33 ans) a les traits tirés sous son sourire affable.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Un récent enterrement de vie de garçon est passé par là. Mais pas seulement. Depuis fin 2018, Bertrand Usclat est le visage de Broute : une série hilarante dans laquelle il parodie Brut (le média 100 % vidéos virales), et qui est vite devenue culte sur internet.
Deux minutes pour illustrer l’absurdité et la médiocrité du monde contemporain
Désormais, poussé par la directrice de la création originale de Canal + Arielle Saracco, le programme est diffusé deux fois par semaine dans Clique, l’émission de Mouloud Achour. Les séances de brainstorming avec son coauteur Guillaume Crémonèse s’enchaînent donc. Il faut tenir le rythme.
Ce jour-là, il vient de tourner un Broute dans lequel il incarne un “coach en écologie qui culpabilise les individus dans leur consommation” : manière de mettre en images le ridicule de l’écologie punitive au niveau individuel. Certains y verront aussi, sans doute, un témoignage ironique de l’extension du domaine de la start-up nation, qui invente des coachs en tout.
L’ADN de Broute est là : deux minutes pour illustrer l’absurdité et la médiocrité du monde contemporain, en forçant à peine le trait. La critique est parfois corrosive, comme dans les épisodes où il endosse l’uniforme d’un CRS (relaxé pour la sixième fois pour des faits de violences sur des manifestants) ou dans ceux où il se grime en député En Marche – l’une de ses spécialités.
Mais même dans les rôles les plus indéfendables (celui du militant d’extrême droite qui se dit victime de “racisme anti-blanc”), une forme d’empathie maintient Bertrand Usclat à distance de l’humour bête et méchant. Et pour cause : “Tous ces mecs, c’est moi !”, lance ce fan des Inconnus et du Dîner de cons. “Comme je passe par un personnage, on a l’impression que c’est très distant, mais il y a une vraie impudeur. Leur médiocrité, c’est aussi en partie la mienne. C’est pour ça que ça plaît”, analyse-t-il.
Le seul en scène sur lequel il travaille en révélera peut-être plus
S’il a lancé Broute en prenant les traits d’un député de la majorité pétri de cynisme, c’est qu’il n’est pas passé loin d’une telle carrière. “Je suis un militant d’En marche raté, nous dit Bertrand Usclat sans blaguer. Tous les gars qui sont au gouvernement, et pas mal de ceux qui sont députés ou dircab’ ont à peu près ma tête !”
A voir sa petite mèche sur le côté et ses manières policées, on se dit qu’il y a un peu de ça. Originaire de l’ouest de Paris, Bertrand Usclat a tenté de passer le concours de Sciences Po “quatre ou cinq fois”. Titulaire d’une licence en sciences politiques à la Sorbonne, il ne doit sa conversion à la comédie qu’à l’insistance d’une amie devenue metteuse en scène, Tamara Al Saadi, et aux encouragements d’un prof de théâtre un peu fou, quand il avait 22 ans.
Pendant ses années de formation au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, il est impressionné par Le Roi Lear de Jean-François Sivadier et Forêts de Wajdi Mouawad. Malgré l’image de gai luron qu’il trimballe, il reconnaît avoir “des rêves de tragédie”. L’humour n’est-il pas “la politesse du désespoir”, comme l’écrivait Chris Marker ?
Il n’est pas non plus insensible au romantisme sombre de Michel Houellebecq, dont il a trouvé le dernier roman, Sérotonine, “terriblement glauque et drôle”. Pour l’instant, avec Broute ou son collectif Yes vous aime sur YouTube (avec Pauline Clément, Johann Cuny et Moustafa Benaibout), il conjure ce penchant pour la “dramédie” par des sketchs désopilants très en prise avec l’actualité. Le seul en scène qu’il prépare en révélera peut-être plus.
Sur le terrain de l’humour, sa préférence va aux plus radicaux, comme Pierre-Emmanuel Barré, Blanche Gardin et Guillaume Meurice – “des résistants”. Est-ce à dire que lui-même pourrait assumer un côté contestataire ? Là, Bertrand Usclat rechigne : “Je ne veux pas être porte-étendard d’un truc, je ne veux pas avoir la charge d’être considéré comme quelqu’un d’engagé. Mais je ne veux pas non plus être sans aspérité : mon but, c’est de relever notre médiocrité à tous”, soutient-il, dans une parfaite maîtrise du “et en même temps”. Il faut dire que, la tête plongée dans les réseaux sociaux en permanence, il craint parfois les mésinterprétations de ses Broute : “Desproges n’aurait pas tenu longtemps sur Twitter aujourd’hui”, note-il avec une pointe de nostalgie.
Broute, tous les mardis et vendredis dans Clique sur Canal+ et sur la chaîne YouTube Yes vous aime
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}