S’entourant de sept actrices d’exception, le metteur en scène propose une relecture du théâtre élisabéthain pour se faire l’écho de la parole révoltée des femmes à l’heure de MeToo.
Après avoir revisité Tchekhov en montant Les Trois Sœurs la saison passée sous les ors du théâtre de l’Odéon, l’Australien Simon Stone investit aujourd’hui les Ateliers Berthier pour une nouvelle pièce consacrée aux femmes. Entouré de sept comédiennes – Valeria Bruni Tedeschi, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard et Alison Valence – et d’un acteur, Eric Caravaca, Simon Stone dédie sa Trilogie de la vengeance aux héroïnes maltraitées du théâtre élisabéthain.
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Répondre aux agresseurs
“Au cours des deux dernières années, la manière dont les femmes ont choisi de répondre à leurs agresseurs a beaucoup changé. Du harcèlement aux abus sexuels, on a assisté à une véritable réévaluation de ce qu’on nomme les violences faites aux femmes. Je pense qu’il est urgent de témoigner de cette nouvelle attitude, un phénomène mondial qui concerne aujourd’hui toutes les strates de nos sociétés.”
Relisant William Shakespeare, Thomas Middleton ou John Ford, Simon Stone constate que le théâtre anglais n’a jamais été aussi violent qu’à l’époque élisabéthaine. Récurrent, le thème de la vengeance réduit les femmes à la condition de victimes.
“Quand je parle de vengeance, je m’inscris d’abord en faux par rapport à ce théâtre où les femmes sont inaudibles et n’ont le choix qu’entre l’incarnation de deux figures : celles de la sainte et de la prostituée. Alors qu’à l’inverse, la parole des hommes qui les entourent est pléthorique, même si eux aussi se divisent en deux groupes : les violeurs et les protecteurs.”
Kill Bill
Après toutes les affaires sorties dernièrement dans les médias, Simon Stone explore ce genre théâtral unique dont il retravaille les motifs pour qu’on entende enfin ces voix féminines :
“L’influence de ces pièces demeure une source d’inspiration inépuisable. Le cinéma de Quentin Tarantino ne serait rien sans elles. Son film Kill Bill en est un des ultimes avatars, qui remet au goût du jour les pièces de vengeance. Ici, l’idée étant de dévoiler la face cachée des classiques, j’ai décidé d’avoir sept femmes et un homme sur le plateau. En commençant par inverser le rapport de force, l’histoire qu’on va raconter sera forcément différente du modèle qui nous inspire.”
Les vertus de la liberté
Pour cette pièce chorale, il imagine une scénographie qui répartit les spectateurs en trois lieux différents. Ces espaces étant contigus, le public comme les acteurs se déplacent d’une salle et d’un plateau à l’autre.
“Nous avons conçu trois décors. L’un représente l’open space d’un lieu de travail où les femmes sont sujettes au harcèlement ; l’autre, une chambre d’hôtel où l’on peut encore rêver d’amour et de la vie en couple, le troisième étant un restaurant où se déroule le banquet d’une noce. Comme les femmes incarnent chacune trois personnages et que l’homme en joue deux, au final, l’ensemble me fait penser à un Rubik’s Cube qui ne cesse de bouger dans tous les sens.”
« Je ne prétends pas faire l’apologie d’une violence qui s’oppose à une autre, je souhaite juste chercher le chemin qui briserait ces cercles qui enferment »
S’agissant d’une création consacrée à l’émergence d’une parole ignorée depuis des siècles, Simon Stone a voulu donner une échelle de temps à son histoire. Ainsi, trois époques se mélangent en permanence. “Jusqu’à la fin des années 1980, on croit aux vertus de la liberté après la révolution sexuelle. En 2000, on pense que l’égalité hommes-femmes est un combat gagné.
Et si l’on se réfère à aujourd’hui, on s’aperçoit que tout reste encore à faire, même si les cris et la fureur des femmes nous parviennent enfin depuis qu’elles s’expriment par le mouvement MeToo. Je ne prétends pas faire l’apologie d’une violence qui s’oppose à une autre, je souhaite juste chercher le chemin qui briserait ces cercles qui enferment.”
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