Figure majeure mais discrète des musiques électroniques, Jon Hopkins revient avec Singularity, album de la plénitude. Il nous a reçus dans son laboratoire londonien.
“Chaque son, chaque disque, chaque mix depuis douze ans est sorti de cette pièce”, nous dit-il. Les murs, recouverts de tapisseries aux motifs psychédéliques, ont quelque peu évolué au cours de ces dernières années, et le studio s’est délesté d’équipements lourds à mesure que la technologie a permis le recours à des logiciels et des machines plus minimalistes, mais le Café Music de Jon Hopkins reste pour le musicien britannique un lieu inspirant, un refuge où règne la quiétude.
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Situé à Bow, dans le district de Tower Hamlets, il accueille parfois les artistes avec qui Jon travaille, même si celui-ci a plutôt l’habitude de rester seul derrière son poste de contrôle. Comme à l’époque de sa collaboration avec London Grammar, lorsqu’il recevait directement “la substance” des morceaux avant de tout bâtir de son côté.
“Ce sont les contrastes qui m’intéressent”
Posé en évidence sur un contrôleur de monitoring Drawmer, le best-seller de Peter Wohlleben The Hidden Life of Trees témoigne du lien mystique que cet adepte de la méditation transcendantale entretient avec la nature et du caractère immanent de son rapport à la création : “Je vois la méditation comme un moyen de révéler chez moi cette capacité à me connecter avec des choses profondément ancrées en moi”, confie-t-il.
Des choses comme des patterns, des boucles et des dichotomies soniques entre techno et musique ambiante, que le processus d’enregistrement de Singularity, son cinquième album, a su capter et projeter dans un disque en forme de voyage initiatique, où tout s’achève là où tout a commencé, sur quelques notes de piano simples et paisibles. “Ce sont les contrastes entre les différentes intensités musicales qui m’intéressent, précise-t-il. J’ai ça en moi depuis toujours, pour des raisons que j’ignore. Aujourd’hui, je sais que je n’aurais pas pu composer cet album plus tôt, même si j’avais déjà depuis longtemps en tête l’idée de le faire. Je n’avais pas assez expérimenté.”
“La musique est une affaire de subconscient : plus tu vieillis, plus tu vas emmagasiner des données avec lesquelles tu vas devoir avancer”
Pierre angulaire de Singularity, Everything Connected existe déjà sous des moutures différentes depuis la fin des années 2000. Dans son moment le plus grandiose, le morceau doit provoquer chez l’auditeur un état de transe. Parfois joué en live, il ne sera pourtant pas retenu pour la sortie d’Immunity, l’album précédent. Le timing n’est pas bon et le contraste qui fonctionne avec les errances cristallines du piano acoustique de Singularity ne donnait rien il y a cinq ans de cela, sur un album où la prédominance d’une techno dark emportait tout sur son passage, y compris les sublimes instants de grâce traumatiques qui marquent encore aujourd’hui au fer rouge à chaque écoute du disque.
“Je pense qu’en live ça va être un moment fun, rigole-t-il. J’ai tout essayé avec ce morceau depuis près de dix ans, ça peut prendre des années avant de se dire qu’un titre est OK. La musique est une affaire de subconscient : plus tu vieillis, plus tu vas emmagasiner des données avec lesquelles tu vas devoir avancer.”
Entre théorie classique et drum’n’bass
Ou desquelles il faudra se défaire, comme de cette éducation classique reçue au Royal College of Music de Londres, où Jon Hopkins est allé pendant près de cinq ans au début des années 1990 pour peaufiner sa pratique du piano. “Je ne prêtais pas vraiment attention à la théorie, ce qui m’intéressait, c’était la musique séquencée et les sonorités électroniques.” Il fait alors comme tous les kids de l’époque : il fume de la weed, écoute les disques des Chemical Brothers, d’Aphex Twin, des Pet Shop Boys, mais aussi toutes les sorties jungle et drum’n’bass du label IQ Records. “Il y avait une salle où l’on pouvait s’exercer sur des séquenceurs et des échantillonneurs”, se souvient-il.
Un rapport à l’expérimentation qui ne l’a jamais quitté. Avant même d’avoir 10 ans, il tripatouillait des machines et des instruments, à la recherche du son parfait. Il cite en référence première le musicien canadien Daniel Lanois, pour ses ambiances atmosphériques “aux teintes évocatrices” qui, dit-il, l’ont fortement influencé pendant ces quinze dernières années passées à cogiter sur Singularity : “J’ai suivi mon instinct, en y allant pas à pas, sans jamais me soucier de savoir quelle serait la prochaine étape. J’ai été conduit vers certaines logiques qui m’ont permis d’improviser sur la structure même des morceaux. J’avais un sentiment de liberté totale.”
Le poète et figure majeure du mouvement transcendantaliste Ralph Waldo Emerson écrivait : “Nous vivons au milieu des surfaces et l’art véritable de la vie est de savoir bien glisser sur elles.” C’est ce que nous dit Jon Hopkins avec Singularity.
Album Singularity (Domino/Sony)
Concerts Le 25 mai à Paris (Villette Sonique), le 11 juillet au Dour Festival (Belgique), le 12 au Montreux Jazz Festival (Suisse), le 26 octobre à Paris (Trianon)
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