A la galerie Praz-Delavallade, le jeune artiste présente des dessins qui transpirent l’érotisme et retracent les héritages et l’actualité des discriminations.
Les lignes sont appuyées et agitées. Elles sont remplies d’aplats grattés et orageux. Les couleurs sont franches, éclatantes. La maladresse est assumée. Griffonnés dans l’urgence, les dessins de Soufiane Ababri reflètent son impétuosité à dire le monde, autant que sa tendresse à l’égard de ses sujets : le galbe de leurs fesses nues, la forme esquissée de leur sexe dans leur pantalon, la vivacité de leurs yeux, leur pilosité, leur carrure.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Né en 1985 à Rabat, Soufiane Ababri gratte le papier avec insistance, portant un regard aussi personnel que sociologique sur la jeunesse : sa jeunesse d’homosexuel au Maroc ou encore de marocain en France. Qu’il représente des hommes tatoués la main dans le pantalon, des garçons en survêt’, casquette visée sur la tête, un vendeur de fruits ou le sacrifice d’un animal dans la rue, l’artiste entend « réfléchir sur le rôle de la violence dans l’histoire des formes« . Une violence qui d’après lui s’exprime surtout « au travers les dynamiques de domination et les normes en vigueur qui traverse la société: l’exigence de virilité, le néo-colonialisme, la discrimination. » Dans un élan nerveux et agité, l’artiste en expose les dérives – violences policières – et les infléchit, trouvant un malin plaisir à faire rougir les pommettes de ses modèles musclés, poilus mais bien faillibles.
« Nous aimons le rose malgré les apparences »
Pour sa première exposition personnelle à la galerie Praz-Delavallade, l’artiste a accroché ses dessins dans un espace rythmé de plusieurs miroirs, nous rappelant la réalité de notre être prisonnier d’un corps soumis aux regards des autres. En faisant le tour de l’exposition, on peut lire sur chacun d’eux un fragment de la phrase ‘we like pink despite of appearances‘ (« Nous aimons le rose malgré les apparences« ).
Les murs ont d’ailleurs été peints de cette couleur, en référence celle de l’étoile que portaient les homosexuels dans les camps pendant la seconde guerre mondiale. Tout comme le mur, les dessins de l’artiste, truffés de références, irradient d’une histoire tragique. Certains visages reprennent la facture des expressionnistes allemands s’étant appropriés l’esthétisme des masques africains. Sur une table, sur un dessin est posé l’ouvrage désormais mythique d’Elisabeth Lebovici, Ce que le Sida m’a fait. Entre des scènes bucoliques et des portraits solaires d’amis, on trouve une horde de médecins et un visage émacié.
« Déserter l’atelier, l’imaginaire technique et virile qu’il convoque »
Dessinées à partir de photos volés ou intimes, prises avec son téléphone, inspirées d’images de productions culturelles comme le film Querelle de Rainer Fassbinder ou la photo du baiser de Wolfgang Tillmans, les oeuvres faussement naïves de Soufiane Ababri épousent les blessures mais aussi les élans de sa vie.
Vivant ici et là entre Paris, Tanger et ailleurs, l’artiste est l’auteur d’une oeuvre qui reflète sa condition de nomade : des dessins majoritairement en petit format (24×32), facilement transportables, réalisés aux crayons de couleurs dans une pauvreté de moyens. « Depuis le bas, le quotidien, depuis chez les dominés, la sphère intime, je veux démanteler les mécanismes de la domination« explique-t-il. Et de fait, c’est souvent depuis son lit qu’il dessine. Il s’agit de déserter l’atelier, l’imaginaire technique et virile qu’il convoque, de créer dans l’espace intime, là où sont cantonnés les femmes et les domestique dans la peinture flamande. Soufiane Ababri les réalise dans la position allongée. » Dans cette position lascive, passive, offerte et paresseuse. A l’instar des femmes, des esclaves et des arabes objectifiés et sexualisés qu’adoraient peindre les artistes occidentaux » dit-il.
SOUFIANE ABABRI, HAUNTED LIVES – Galerie Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes 75003 Paris / Du 5 mai au 16 juin 2018
{"type":"Banniere-Basse"}