Un palmarès qui met en lumière l’état adulte des séries internationales.
Une neuvième mais une première, voilà la sensation offerte par l’édition 2018 de Séries Mania terminée samedi soir, la première à Lille après huit printemps au Forum des Images parisien. On y a vu d’abord des retrouvailles avec une machine bien huilée, l’équipe menée par Laurence Herzberg et Frédéric Lavigne ayant reproduit au Nord les recettes déjà éprouvées dans la capitale : nombreuses rencontres et masterclasses, débats, compétition internationale, forum professionnel où étaient présents notamment Delphine Ernotte de France Télévisions et Reed Hasting, le big boss de Netflix, venu expliquer à un parterre vaguement inquiet son idée du futur.
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« Pour nous, a-t-il indiqué, l’avenir de Netflix serait de devenir le grand producteur mondial travaillant avec diverses cultures, pour mettre en valeur leurs contenus, et non pas que Hollywood fournisse sa vision au reste du monde. » La stratégie de la firme californienne n’est pas simplement bienveillante, elle répond à l’imminence d’un quota de l’Union européenne prévu d’ici trois ans, qui fixerait à 30% la proportion minimale de productions locales sur les plateformes exploitées en Europe. La plateforme de SVOD a ainsi annoncé vouloir produire plusieurs séries françaises chaque année en vitesse de croisière d’ici 2020. Autant dire que tout va changer.
Grand écart
De manière évidente, le festival a également grandi, étalé sur toute la ville et rythmé par une vision plus large que Séries Mania première manière, enchaînant les projections des historiques Out 1 : Noli me tangere de Jacques Rivette ou Huit heures ne font pas un jour de Fassbinder – soit de grands auteurs de cinéma confrontés au récit en épisodes – avec un hommage rendu à Corinne Masiero et Capitaine Marleau, ou à Patrick Duffy, le Bobby de Dallas, en guest star échappée des années 80 les plus mainstream.
Ce grand écart posait forcément la question de l’identité d’une manifestation qui a tenté cette année de satisfaire tout le monde, avec quelques petits hoquets – les salles n’étaient pas toujours pleines, contrairement à ce qui se passait à Paris – mais la confirmation, quelques semaines après Cannes Séries, que Séries Mania reste le principal rendez-vous consacré au genre, miroir réfléchissant (dans tous les sens du terme) de l’amour généralisé des séries.
Des personnages féminins impossibles à imaginer il y a dix ans
Que donnera à l’avenir ce grand corps régénéré ? La question occupera le futur. Elle occupait déjà le présent de la série la plus intrigante de la compétition, Ad Vitam de Thomas Cailley – repartie avec le Prix de la meilleure série française. Dans cette dystopie, les corps ne muent pas, l’enveloppe, grâce à des traitements génératifs, reste quasiment la même. Darius, un flic blasé de presque 120 ans (interprété par Yvan Attal) croise le chemin d’une jeune rebelle voulant connaître la possibilité de vieillir, voire de mourir. Dans cette narration qui finalement recycle les tropes des genres policiers et science-fiction – avec une ambition visuelle rare dans nos contrées -, la présence féline de Garance Marillier (Grave) amène un trouble, une ambiguïté, permettant à Ad Vitam d’assumer son grain de folie. Après deux premiers épisodes encore un peu fragiles mais prometteurs, espérons que la suite saura nous faire décoller. Une série où une brune sexy de quatre-vingt un ans fait un test de grossesse positif ne doit pas décevoir sur la durée.
D’autres femmes captivantes ont éclairé Séries Mania, des personnages encore impossibles à imaginer il y a une décennie en dehors des séries américaines ou anglaises. On pense à l’héroïne de An Ordinary Woman, une série russe qui démonte finement les ressorts du patriarcat et de la corruption afférente dans le pays de Vladimir Poutine. Au programme, le quotidien plein de drames et de drôlerie de Marina, trente-neuf ans, qui gère ses gosses, son mari et ses « filles », son boulot de fleuriste n’étant qu’une façade pour une activité de proxénète forcément compliquée. Sans affèteries visuelles, An Ordinary Woman suit et met en scène ce corps à la fois travailleur et désirant, ce qui est déjà beaucoup et donne envie d’en voir plus. L’actrice Anna Mikhalkova a obtenu le prix d’interprétation féminine. En Angleterre aussi, les héroïnes travaillent sans relâche, mais elles appartiennent plutôt à la bourgeoisie dans The Split, la création d’Abi Morgan. Ici, elles sont avocates et se démènent avec le retour du patriarche plusieurs décennies après son évanouissement dans la nature. La série ausculte avec brio et aussi un certain classicisme les méandres d’une vie familiale où les secrets débordent enfin et où la parole féminine se libère.
Un paysage adulte et inclusif
Sans chef d’œuvre – mais l’année sérielle, pour l’instant, a été chiche en la matière -, Séries Mania 2018 a tout de même reflété l’état adulte des séries internationales face à l’ogre américain. L’italienne Il Miracolo créée par l’écrivain Nicollo Ammaniti (une coproduction d’Arte) a beaucoup plu au jury dirigé par Chris Brancato (Narcos) qui lui a décerné son prix spécial, ainsi que celui de la meilleure interprétation masculine à la montagne Tommaso Ragno, qui incarne un prêtre poursuivi par la mafia. Autour d’une étrange statue de la vierge pleurant du sang, la série démontre avec un peu d’emphase (ou un sens du baroque, selon le point de vue) que l’Italie vit toujours au rythme de sa religion et de ses familles.
Nous avons préféré une autre famille, plus fragile et plus douce, celle des trois colocataires de On the Spectrum de Dana Idisis et Yuval Shaffermann, gagnante du Grand Prix Séries Mania. Trois autistes qui partagent un appartement et tentent de surnager dans cet incroyable chemin de croix déchirant et burlesque qu’est leur quotidien. Cette série israélienne n’a pas beaucoup plus à offrir que les aléas de leur vie invisible. Elle parait parfois anodine mais vire aussi au sublime, comme dans une scène clef du troisième épisode où le personnage féminin, presque trentenaire, hurle son désir de connaitre enfin une expérience sexuelle alors que ses potentiels amants la trouvent gênante. Avec peu de moyens, On the Spectrum défend une belle idée de la série comme espace inclusif et intime, une mission essentielle que la récente « blockbusterisation » du genre a parfois tendance à effacer.
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