Loin d’être à bout de souffle, BoJack Horseman achève sa course avec une gravité teintée de lumière.
Le regard vague, un cheval au corps humain tombe à travers les strates de sa vie dissolue pour finir au fond de sa piscine. Annoncé dès son générique, le mouvement général de BoJack Horseman embrasse dans un même élan la chute de son personnage et ses espoirs de rédemption. Il aura mis six saisons à se délier pleinement, ou plutôt à se décomposer, comme le faisaient les chronophotographies équestres d’Eadweard Muybridge.
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Lancée en 2014 sur Netflix, la sitcom d’animation créée par Raphael Bob-Waksberg et Lisa Hanawalt reçoit dans un premier temps des critiques mitigées. Saluée pour son humour absurde et ultra-référencé, cette satire d’Hollywood où les humains cohabitent avec des animaux anthropomorphes s’est progressivement teintée de noirceur pour se hisser au sommet de l’animation contemporaine. Hantée par l’idée de solitude, le sentiment d’inadéquation et l’angoisse face à la disparition, cette fable chevillée au comportement destructeur d’un acteur sur le déclin aura finalement dessiné une absence, celle d’un personnage à sa propre existence.
Dans la course des mouvements #MeToo et Time’s Up
Au seuil de sa sixième et dernière saison (diffusée en deux parties), l’ampleur de BoJack Horseman est à la fois sociétale et émotionnelle. Entre l’usine à rêves sous acides et la machine à cauchemars hors de contrôle, son Hollywoo (les spectateurs assidus savent ce qu’il est advenu du “d” final) s’est peu à peu doté d’une porosité au réel pour lui offrir une chambre d’écho désaccordée.
Dans le sillage des mouvements #MeToo et Time’s Up, la série s’est emparée de la question des inégalités et des affaires de harcèlement sexuel qui rongent l’industrie cinématographique. Elle l’a fait à sa manière décalée, en équilibre parfois précaire entre la justesse et l’outrance, la bienveillance et la complaisance, pointant notamment le cynisme d’un milieu prêt à tout pour sauver les apparences.
Diffusée en novembre dernier, la première partie de la saison 6 avait opéré un resserrement sur les enjeux intimes de la série. Entré en cure de désintoxication après un pétage de plombs aux conséquences tragiques, BoJack semblait décidé à reprendre pied en tenant éloignés ses vieux démons. Ses bonnes résolutions étaient mises à mal par l’enquête de deux journalistes décidés à lui faire répondre de ses méfaits passés.
Jusqu’à quel point un individu a-t-il le droit au pardon ?
Les personnages secondaires étaient cette fois placés sur le devant de la scène. Entre un Todd Chavez incapable de grandir, une Princess Carolyn jonglant entre ses obligations professionnelles et son désir d’enfant et une Diane Nguyen guettée par la dépression, ces figures continuent dans la seconde partie de la saison à être embrassées avec une finesse de trait lumineuse. Incapables de s’insérer dans le dessin d’ensemble comme autant de pièces de puzzle aux arêtes brisées, elles brillent chacune d’un éclat singulier.
Le destin de BoJack est quant à lui étreint par deux interrogations à valeur générale. Jusqu’à quel point un individu a-t-il le droit au pardon et au rachat ? Peut-on être touché et ému par quelqu’un dont les actes sont sans équivoque condamnables ?
A la seconde question, la série choisit de répondre par l’affirmative en refusant de réduire le personnage à une action ou à un trait de caractère tout en affirmant l’irréductible complexité de chaque être. Si cette posture pourrait tendre à excuser Horseman au détriment de ses victimes, elle est soutenue et complétée par la réponse apportée à la première : pour BoJack, la rédemption passe par une confrontation à ses péchés originels et un abandon progressif de soi.
Qu’est-ce qui aura émergé de cette descente aux enfers ? Une forme d’acceptation, celle de ne plus essayer de se tenir au centre de la scène coûte que coûte, de ne plus prendre toute la place pour laisser aux autres la possibilité d’exister. Sans effusion ni fracas, la chute, suspendue dans une dernière séquence bouleversante de simplicité, conforte nos certitudes : BoJack Horseman fait partie de ces séries qui nous ont appris à vivre, tant bien que mal.
BoJack Horseman saison 6 partie 2 disponible sur Netflix
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