François Ruffin a publié sans prévenir “Ce pays que tu ne connais pas”, une longue lettre au vitriol à Emmanuel Macron. Voici ce qu’on peut en retenir.
Le premier uppercut de Ce pays que tu ne connais pas (Les Arènes), le livre au vitriol de François Ruffin adressé à Emmanuel Macron, vient de la citation mise en exergue. Elle est signée Paul Ricœur, le philosophe dont le chef de l’Etat se dit proche, et qu’il considère comme son mentor : “Le danger aujourd’hui, est que la direction des affaires soit accaparée par des oligarchies de compétences, associées aux puissances d’argent”. Pendant 218 pages, le député de la Somme, membre du groupe parlementaire de la France insoumise (LFI), s’applique à montrer que cette mise en garde était prophétique, et qu’Emmanuel Macron l’a lui-même réalisée.
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“C’est ‘le monde social vu d’en haut’”
Dans Ce pays que tu ne connais pas, le député-reporter accuse le chef de l’Etat de surdité sociale : “Vous parlez d’une France que vous ne connaissez pas, c’est ‘le monde social vu d’en haut’, aplani, aplati, comme Yann Arthus-Bertrand regarde la Terre depuis son hélicoptère”. Il remonte pour cela à l’époque où tous deux ont fréquenté le même lycée huppé, celui de La Providence, à Amiens. Ruffin en profite pour dissiper le mythe selon lequel ils s’y seraient connus, et que leur rivalité daterait de cette époque. En fait, ils ne se sont “jamais croisés” : “Nos deux années d’écart, et ma discrétion, nous en ont prémunis.” Seule sa sœur, plus âgée, l’a connu : “On se tirait la bourre pour la première place, lui confie-t-elle. On s’entendait plutôt bien. Les vieux l’adoraient.” Ruffin dit garder de cette époque la hantise des grilles qui le coupaient du reste du monde. Ces grilles qui, aujourd’hui, se seraient refermées sur l’actuel chef de l’Etat, le rendant hermétique au “peuple” sans qu’il s’en soit même rendu compte, au point qu’il est devenu le “président des ultra-riches”.
Au fil des chapitres, le député-reporter, qui fait coup double avec son film sur les “gilets jaunes”, J’veux du soleil (sortie prévue le 3 avril), retrace leurs destins croisés. Alors que le président, dont il fustige la “morgue”, ne regarde plus les citoyennes et les citoyens “qu’à travers des statistiques, des rapports, des textes de loi”, lui se dit “boulimique du réel, jamais mieux qu’au milieu d’eux, plongé dans le peuple”.
“Vous êtes le fruit de l’entre-soi bourgeois”
De la lutte des salariés d’Ecopla à celle des ouvriers de Whirlpool, en passant par Goodyear, il relate ses rencontres avec les invisibles de la République, au fil des fermetures d’usines. Et le parcours parallèle de l’énarque devenu banquier d’affaires, ministre, puis président grâce au réseau qu’il s’est tissé dans la France d’en haut. “De votre naissance jusqu’à aujourd’hui, vous êtes le fruit de l’entre-soi bourgeois. Vous êtes le produit d’une ségrégation sociale, hors du peuple, loin du peuple, et maintenant contre le peuple”, assène François Ruffin, avec la même verve qui l’avait poussé à écrire sa fameuse “lettre à un président haï”.
Dans ce réquisitoire qui semble avoir été écrit d’une traite, comme poussé par l’explosion sociale qui secoue la France depuis le 17 novembre, François Ruffin convoque donc des éléments de ses reportages passés pour Là-bas si j’y suis (l’émission défunte de France Inter) ou Fakir, pour donner chair à la souffrance sociale qu’Emmanuel Macron ignore à ses yeux. En négatif, rejoignant l’analyse des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot dans leur dernier livre, il entend montrer l’illégitimité de M. Macron, dont l’élection relèverait d’un “cas d’école qui marque l’imbrication du pouvoir politique, du pouvoir de l’argent, et du pouvoir des médias”. Apparemment écrit dans l’urgence, de la même manière que son film, J’veux du soleil, a été tourné et monté en un temps record, le petit livre rouge de Ruffin prend donc la forme d’un pamphlet sans concessions. Il le confesse d’ailleurs : “Tel est mon ADN professionnel, personnel : une certaine sauvagerie”.
“Au service de qui allons-nous mettre nos armes ?”
On apprend donc peu de choses – l’hostilité tenace de François Ruffin envers Emmanuel Macron n’est pas un secret. Hormis peut-être cette anecdote sur la venue du candidat d’En marche ! sur le site de Whirlpool, le 26 avril 2017. Ce jour-là, Emmanuel Macron, qui passe après le coup de com’ réussi de Marine Le Pen, est chahuté par la foule. Ce serait grâce à François Ruffin et à un délégué CFDT, Patrice Sinoquet, que le candidat aurait sauvé sa chemise. “Vous mesurez le paradoxe ? Ce sont vos deux opposants les plus résolus qui, ce jour-là, peut-être, vous ont sauvé la mise. Moi, bon, mon CV, vous le connaissez. Mais Patrice Sinoquet, délégué CFDT, certes, mais militant frontiste aussi, un historique, tendance Jean-Marie. La vie est étrange, non ? Car nous vous avons bel et bien épargné, sinon la violence et les coups, le goudron et les plumes, du moins les cris, les crachats, les jets de canettes, les ‘Macron dégage !’ qui auraient plombé votre image, qui auraient signé le divorce, définitif, d’emblée, avant même le scrutin, entre vous et cette France en souffrance”, écrit Ruffin.
Sur le fond, le réalisateur de Merci patron ! décrit une France coupée en deux, dans laquelle “88% des personnes montrées dans les sujets d’information appartiennent aux CSP+” (selon le baromètre diversité du CSA), où les ouvriers-employés ne comptent que pour 2,7% des députés à l’Assemblée, et où la classe intermédiaire, qui dispose des armes de ses diplômes, doit faire un choix : “Au service de qui allons-nous mettre nos armes ? Au service des nouveaux seigneurs, ou de leurs serfs ? Vous êtes à l’intérieur, à l’intérieur des grilles, pour l’éternité. J’ai choisi l’autre camp, délibérément, au grand air”.
François Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas, Les Arènes, 218p, 15€
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