[Hors série Cheek x Les Inrocks – Plaisir féminin] De la rue aux réseaux sociaux, les vulves sont partout dans l’espace public. Comment expliquer cette représentation grandissante du sexe féminin en France et dans le monde ? A-t-elle vraiment le pouvoir de faire évoluer les mentalités ?
Des affiches dans la rue, un pin’s sur une veste, un compte Instagram suivi par des milliers de personnes… Les vulves ont investi l’espace public et portent avec elles un discours politique et engagé. Ce mouvement global remplit deux objectifs complémentaires : la réappropriation par les femmes de l’espace public et la diffusion du savoir sur l’anatomie féminine.
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Julia Pietri, autrice du Petit Guide de la masturbation féminine à l’initiative de la campagne intitulée “Ceci n’est pas un bretzel”, et montrant un clitoris, confirme : “En préparant l’écriture de mon livre, je me suis rendu compte de la méconnaissance des femmes concernant l’anatomie du clitoris. J’ai alors créé ce visuel que j’ai rendu disponible en open source pour permettre à toutes de se réapproprier l’espace public en collant des affiches mais aussi de démocratiser ce sujet pour le plus grand nombre.” La campagne rencontre un vif succès, aussi bien dans la rue que sur internet, où le compte Instagram @itsnotabretzel est suivi par plus de 20 000 personnes.
Si l’audience des Street Vulvas d’Emilie* est moindre sur Instagram, leur impact “dans la vraie vie” est tout aussi important : cette étudiante aux Beaux-Arts de Marseille colle depuis début 2019 dans les rues de la cité phocéenne des moulages de vulves. Ces derniers sont agrémentés d’une légende précisant où se situent les lèvres externes, internes, le méat urinaire ou encore l’entrée du vagin de chaque vulve. “J’ai voulu faire de l’éducation sexuelle grâce à des moulages, mais je ne voulais pas les cantonner à une seule tranche d’âge ou une seule classe sociale, explique l’artiste qui voit dans la rue un espace éminemment politique. Mettre mes œuvres à la vue de toutes et tous est une manière de les rendre accessibles.”
Des réactions contrastées
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Au Maroc, le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) a lui aussi pris la rue et internet comme supports de diffusion de ses idées pour protester contre les tests de virginité et sensibiliser la population aux droits sexuels et reproductifs. En plus d’y voir “une pratique d’éducation populaire”, Ibtissame Betty Lachgar, porte-parole du MALI, explique qu’“il est important d’investir l’espace public parce qu’il est masculin”.
Si les féministes du monde entier s’entendent sur l’importance de véhiculer de tels messages, les réactions face à leurs campagnes restent contrastées. En France, alors que les médias amplifient les messages, il n’est pas rare de croiser une affiche arrachée ou vandalisée. Certaines œuvres installées par Emilie* ont une durée de vie de moins d’une semaine. C’est pour cette raison qu’elle a choisi de les publier sur un compte Instagram, @la_vulve : “Je voulais que tout le monde puisse profiter de cette planche anatomique en 3D.”
Sur le réseau social, Emilie* reçoit d’ailleurs beaucoup de messages de remerciements car, grâce à ces moulages, les gens expliquent avoir (re) découvert leurs organes. L’artiste tempère cependant l’impact de ses Street Vulvas sur la société : “C’est cool de donner une éducation sexuelle de cette façon, mais cela ne fait pas tout. Il faut une éducation publique”, plaide-t-elle.
En effet, malgré l’invasion des vulves dans l’espace public, les filles et les femmes connaissent encore trop mal leur anatomie. Aujourd’hui, seul le manuel scolaire de SVT des éditions Magnard propose un schéma complet du clitoris. Quant au porno, il véhicule une image unique et stéréotypée du sexe féminin : lisse, sans poils, comme celui d’une petite fille.
Une nouvelle injonction
Alors, pour montrer qu’il existe autant de vulves que de personnes, The Vulva Gallery partage sur son compte Instagram – @the.vulva.gallery, suivi par près de 400 000 personnes – des dessins de sexes féminins tous différents les uns des autres. Le projet a rencontré un tel succès qu’il se décline aujourd’hui en livre, pin’s, tote bags ou jeu de cartes. Onze ans après The Great Wall of Vagina de l’artiste britannique Jamie McCartney et huit ans après “Osez le clito !”, première campagne d’affichage menée par Osez le féminisme ! représentant le clitoris dans son intégralité, la dédiabolisation du sexe féminin a commencé.
“A l’époque, parler d’anatomie féminine, c’était choquant ou dégoûtant. Aujourd’hui, on revendique le clitoris comme symbole de puissance pour les femmes, observe Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme !. Cette réappropriation du corps s’est faite progressivement, avec une accélération depuis un an. Elle est essentielle pour imaginer une nouvelle sexualité qui soit à l’écoute du corps et du plaisir des femmes.” Mais cela ne suffit pas. La recherche scientifique n’avance toujours pas, observe la militante. “On a encore peu d’informations à donner aux femmes sur le fonctionnement exact du clitoris et de l’orgasme. Alors que les recherches sur le Viagra, elles, se portent bien !”, s’exclame-t-elle.
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Pour Alexia Bacouël, sexologue et autrice des Dessous du plaisir, l’impact de ces campagnes peut effectivement “permettre aux femmes de s’intéresser au sujet, d’oser observer leur corps et d’en avoir une meilleure connaissance. Mais pour beaucoup de personnes, il s’agit aussi d’une nouvelle injonction. On va prôner le clitoris comme l’élément central de la sexualité, mais c’est restrictif et culpabilisant pour certaines femmes qui n’arrivent pas à jouir de cette façon.”
De son côté, Emilie* prône également un féminisme intersectionnel qu’elle ne retrouve pas dans toutes les initiatives lancées au cours des derniers mois. “Il n’y a pas que les femmes cis qui ont une vulve, et c’est pourquoi j’ai fait le choix de représenter la vulve d’une personne trans”, lance-t-elle, comme pour montrer qu’en matière d’égalité et de sensibilisation il reste du travail à faire, même auprès des féministes.
*Le prénom a été modifié.
Petit Guide de la masturbation féminine de Julia Pietri (Better Call Julia, 2019).
Les Dessous du plaisir d’Alexia Bacouël (Ideo, 2019).
Le Hors série Cheek x Les Inrocks « Plaisir féminin » sera disponible en kiosque à partir du 7 février
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