Grunge, noise, shoegaze, pop, psyché : le slacker bordelais TH Da Freak continue à revisiter ses influences nineties dans un album patchwork à l’insouciance trompeuse.
Lorsqu’il s’agit de qualifier l’hyperproductivité des figures du garage contemporain, il est de bon ton d’aller piocher dans la propagande soviétique. À raison de plusieurs disques publiés chaque année, King Gizzard and The Lizard Wizard, John Dwyer, Ty Segall et consorts sont constamment assimilés aux exploits du célèbre mineur Stakhanov. En quelques mois, Thoineau Palis, dit TH Da Freak, s’est vu lui aussi affilié au mythe. Plus d’une centaine de morceaux s’accumulent depuis 2011 sur le Bandcamp du jeune Bordelais et trois de ses disques ont été publiés rien qu’en 2018 sur le label Howlin’ Banana. Mais il est de rigueur, chez les stakhanovistes du genre, de s’octroyer un délai de circonstance pour peaufiner un projet particulier. Alors même si Thoineau enchaîne les sorties, il prend un peu de temps pour concevoir Freakenstein, son dernier long format.
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“L’année dernière, j’ai publié trois disques pour le côté challenge mais c’était avant tout parce que j’avais des morceaux déjà composés et que j’avais envie de les sortir, assure-t-il. Je n’aime pas vraiment laisser traîner la musique que je compose pendant longtemps. Mais là, c’est différent. J’ai mis beaucoup plus de temps. Et pour la première fois, j’étais conscient de faire un album, d’être vraiment dans le format.”
« C’est l’idée de bouts qui s’entremêlent »
En 2016, le Bordelais se fait remarquer avec The Freak, un premier album nourri aux nineties, qui réunit des morceaux écrits et enregistrés sur une année. Deux ans plus tard, après avoir livré une poignée d’ep, il compose et publie sur le vif un deuxième long format, The Hood, pour mieux immortaliser un moment précis de sa frénésie créatrice. Si ces disques sont considérés comme des albums à part entière, leur création est loin d’être une démarche réfléchie pour leur auteur.
Depuis trois ans, Thoineau sélectionne donc minutieusement des échantillons d’accords, de riffs et d’effets sonores précieux qui seraient favorables à l’élaboration d’un projet de grande ampleur.
“Tout est tiré de morceaux que je jouais chez moi à la guitare acoustique. Je me suis forcé à ne pas enregistrer de démo, à seulement garder une image de chaque chanson avec leurs arrangements en tête jusqu’à arriver en studio, explique-t-il. Freakenstein, c’est l’idée de bouts qui s’entremêlent, de titres variés et travaillés, auxquels on aurait ajouté une intro et une outro pour avoir cette forme d’album véritable.”
Sensibilité écorchée
À l’instar de la créature de Frankenstein, le disque résulte d’un assemblage de morceaux hybrides. Pas moins de quatre cerveaux ont été réquisitionnés pour parfaire le mixage final, ce qui amplifie variété sonique du monstre. Fidèle à ses influences des années 1990, le vingtenaire réalise une synthèse jouissive en alternant grunge, noise, shoegaze, psyché et pop folk. Il se joue des sons, des rythmes et de leur rupture, s’offre même quelques expérimentations aux côtés de son frère Sylvain aka Siz, sur les premiers et derniers titres instrumentaux qui cadrent le disque.
Mais sous ses airs de joyeuse sauterie, stimulée à grand renfort de fuzz, Freakenstein dévoile une certaine profondeur et révèle toute la sensibilité écorchée de son créateur, semblable à celle d’un Kurt Cobain. La voix de Thoineau est d’ailleurs davantage mise en avant que sur ses enregistrements précédents. “What is the problem with me ?”, questionne-t-il en boucle sur l’excellent Peeling the Onion, “I hate myself and I want to die”, s’exclame-t-il dès les premières minutes de Kurtains ou encore “I’m just a useless guy smoking too much”, sur Hospital, l’un des chefs-d’œuvre de l’album.
Freak
“Si Freakenstein est une belle métaphore de sa conception, c’est aussi un clin d’œil aux films d’horreur des années 1930 que j’ai pas mal regardés, avoue Thoineau. Ce sont des films simples mais les thèmes abordés sont très forts, ils soulèvent des questions pertinentes. Je voulais donc que cet album incarne cette idée, qu’il soit accessible à tous, comme un film pop-corn, mais qu’il soit également profond, ce que tu découvres si tu creuses un peu plus.” Il poursuit : “J’ai beaucoup de mal à exprimer ce que je ressens mais pas quand je fais de la musique. Dans l’écriture, il y a donc quelque chose de personnel et de générique. Ce que je dis, plein d’autres gens peuvent le ressentir.”
Avec ce disque définitif, le Bordelais propose la meilleure entrée vers son monde de freaks. La monstrueuse parade est annoncée.
Album Freakenstein (Howlin’ Banana – Bordeaux Rock / Modulor)
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