A l’occasion de notre numéro spécial “Comment ça va, la France ?”, le cinéaste, réalisateur d’Alice et le Maire, partage ses prédictions quant à l’avenir politique d’Emmanuel Macron.
Que vous inspire tout ce qui se passe en France depuis les Gilets jaunes et depuis plus de cinquante jours de lutte contre la réforme des retraites ? Quel est l’état de la France ?
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Ces deux questions sont évidemment liées. Il me semble que l’on vit la fin de l’époque où les services publics fonctionnaient correctement, où les gens qui travaillaient (ou étaient d’une manière ou d’une autre intégrés au système de production) gagnaient suffisamment pour vivre et se loger dignement en espérant pour leurs enfants une meilleure vie que la leur. Les services publics fondamentaux sont sacrifiés par l’Etat, la presse est sur le point de disparaître, les citadins habitent des appartements de plus en plus petits et la vie de ceux qui n’habitent pas en ville est de plus en plus rude.
En gros, tout le monde s’appauvrit, individuellement et collectivement. Certes, les très riches ne s’appauvrissent pas, mais cela fait longtemps que les très riches ont, me semble-t-il, fait sécession. Ils n’utilisent pas vraiment les services publics (leurs enfants vont dans le privé, ils se soignent dans un autre circuit, ils prennent peu les transports en commun, ils payent leurs impôts ou pas, etc.) Pour le dire autrement, ils n’appartiennent pas vraiment à la société – et à titre personnel, bien qu’issu de la petite bourgeoisie, j’ai dû rencontrer moins de cinq très riches dans ma vie. Les très riches sont, d’une certaine façon, des invisibles.
Contrairement à beaucoup de mes amis, je pense que la gauche ne nous rendra pas moins pauvres. Il me semble que le problème va bien au-delà d’une crise du capitalisme et de la répartition des richesses et que nous arrivons, ce qui est beaucoup plus angoissant, au début de la fin de la société industrielle telle que nous la connaissons.
“Nous sommes dans une situation de décroissance subie”
Pour le dire autrement, la crise économique est liée à la crise écologique. Notre modèle de développement lié à l’exploitation des énergies fossiles arrive à une impasse à la fois écologique (nous détruisons la vie sur la planète) et à une impasse économique (le système ne réussit plus à faire vivre correctement ceux qui ne sont pas très riches).
Je pense que nous sommes dans une situation de décroissance subie. Décroissance de nos revenus, de notre consommation, de la surface de nos maisons, et demain sans doute de notre espérance de vie. C’est vraiment un casse-tête atroce. Par exemple, la paupérisation des jeunes, la baisse des pensions de retraite et la mort de l’hôpital public vont aboutir à quoi ?
Sans doute à une baisse de la natalité, à une baisse de la consommation et donc de l’activité économique, enfin à une baisse sévère de l’espérance de vie (et probablement à un déclin encore plus violent de la démocratie et des libertés). C’est désastreux du point de vue de l’émancipation mais ce n’est pas une mauvaise nouvelle d’un point de vue écologique.
Comment le pouvoir va-t-il s’en sortir, selon vous ?
Ça dépend ce que vous entendez par pouvoir. Il est quand même probable que Macron ne sera plus Président dans deux ans. De ce point de vue, il ne s’en sortira pas. Il devra sans doute toujours faire face à des révoltes incessantes, il continuera ses « réformes » et sa popularité va sans doute s’éroder de plus en plus dangereusement.
Il suffira au candidat de droite de ne pas être trop nul ou trop corrompu – c’est vrai que ce n’est pas gagné – pour le dépasser et être élu. Si vous entendez par pouvoir l’Etat en général et les normes qu’il impose, je pense qu’à terme il ne s’en sortira pas non plus. Je veux dire que la fin de la société industrielle telle qu’on la connaît va nécessairement voir disparaître l’organisation du pouvoir actuel. Il y aura d’autres formes d’oppression et d’autres points de lutte, d’autres résistances.
“Il est idiot d’être trop pessimiste”
Pensez-vous que noys soyons dans une période pré-insurrectionnelle ?
Je ne crois pas, à court ou moyen terme, à une insurrection générale progressiste. Je pense qu’il faut être un peu fou pour croire qu’une révolution puisse advenir alors que la gauche semble être rincée. A la limite, si c’est vraiment trop le bordel, je crains un virage vraiment très autoritaire (j’ai l’impression que de la FI au RN en passant par LREM et les Républicains, Poutine fait plus rêver que Durutti).
Quelle lueur d’espoir vous apparaît malgré tout dans cette nuit de la démocratie ?
Je pense que la philosophie et les sciences (dures ou humaines) sont des acquis qu’aucun effondrement ou reprise en main autoritaire ne peut abolir. J’ai très peur notamment pour les droits des femmes ces prochaines décennies, mais on ne pourra pas faire comme si les conquêtes et théories féministes du XXe et du XXIe siècles n’avaient pas eu lieu.
Il est idiot d’être trop pessimiste : les droits de l’homme, l’amélioration des conditions de vie, l’émancipation des femmes et des minorités ne sont jamais acquis pour toujours mais, et c’est une des leçons de l’histoire, la barbarie est fragile aussi.
Dernier film en salle Alice et le Maire
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