A l’occasion de notre numéro spécial “Comment ça va, la France ?”, l’auteur, Prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux, explore notre pays en crise soumis à une multitude de traitements de choc.
La France ne va pas si mal. Les chiffres du chômage sont à la baisse. Les actionnaires du CAC 40 engrangent des dividendes record. Le taux de natalité reste décent et les investissements étrangers n’ont jamais été si élevés. Nous souffrons moins que d’autres des épouvantables chaleurs qui seront bientôt notre lot commun.
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Des manifestants ont peur d’exercer leur droit. Des juifs leur religion. Des musulmans d’écrire leur nom dans un CV
Nous avons toujours quatre fleuves, les Alpes et les Pyrénées, un tour de France et le Mont-Saint-Michel. Nos grandes écoles, n’en déplaise à Shanghai, forment toujours ces jeunes gens de silex qui font des étincelles de New York à Singapour, règnent à l’Elysée, pensent à Saint-Germain-des-Prés. Le Louvre garde ses chefs-d’œuvre et nous sommes pour l’instant à l’abri des guerres et de la famine.
La France ne va pas si mal. Ce sont plutôt les Français qui m’inquiètent. Les traitements de choc se succèdent ; certains y gagnent, d’autres en crèvent. A la campagne, les suicides d’agriculteurs font la une des journaux, et depuis des lustres, les cimetières sont plus nombreux que les bureaux de poste. Des villes moyennes déclinent, moins de dessertes, peu de médecins, un an pour un rendez-vous chez l’ophtalmo.
On ne sait même plus quel mot utiliser pour parler des « quartiers », des « grands ensembles », des « cités », des « banlieues ». Des gens hier sans histoires enfilent des gilets jaunes et prennent d’assaut des monuments. Des institutrices craignent la misère après l’âge pivot. Dans les hôpitaux publics, les lits manquent, des chefs démissionnent et les infirmières à bout de forces se demandent jusqu’où ça ira. Plus personne dans ce pays ne veut devenir prof de maths.
Les tribunaux ont des thromboses, les juges semblent plus soucieux d’ordre que de justice. Parcoursup promet demain des universités sélectives et payantes. Des manifestants ont peur d’exercer leur droit. Des juifs leur religion. Des musulmans d’écrire leur nom dans un CV. Ce peuple est comme une pâte, qui s’étire sans fin, sous l’effet des courants mondiaux, des vogues et des inerties, si bien qu’on se demande parfois ce qui unit encore ceux qui ont le pied sur l’accélérateur et les autres, qui endurent les effets du changement.
Demain, Marine Le Pen fera plus, et pire. Les traitements de choc se succèdent, oui, et la France cavale, elle est de plus en plus efficace, elle est dans la course, mais les Français ? Me reviennent les mots de M. Bergeret dans un roman d’Anatole France : « Assurément les pouvoirs forts font les peuples grands et prospères. Mais les peuples ont tant souffert, au long des siècles, de leur grandeur et de leur prospérité, que je conçois qu’ils y renoncent. » (L’Orme du Mail)
Dernier ouvrage paru Rose Royal (In8)
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