A l’occasion de notre numéro spécial “Comment ça va, la France ?”, l’historienne analyse la “dynamique révolutionnaire” qui s’est emparée du pays.
Comment va la France ?
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Mathilde Larrère — Bien, parce qu’elle montre sa capacité à se soulever, à s’organiser, à réagir, à innover, à inventer, à lutter. C’est toujours bien quand un peuple n’est pas atone, et montre qu’il est citoyen. Et mal, parce qu’il y a une crise sociale, avec les inégalités qui se creusent de façon nette, et une crise démocratique, avec un gouvernement qui n’entend absolument pas les revendications populaires, quelle que soit la forme par laquelle elles s’expriment, et qui réduit la démocratie à sa lecture électorale.
Depuis les mouvements de 1995 contre le plan Juppé et de 2006 contre le CPE, les mouvements sociaux peinent à gagner. Des victoires sociales sont-elles encore possibles ?
La difficulté actuelle réside dans le fait que, même si le gouvernement est idéologique, il n’est pas composé de “politiques” au sens traditionnel du terme. Un Juppé, face à un mouvement social, recule ; un Chirac, face à un mouvement social, recule. Ils avaient conscience que, quand il y a une opposition massive, structurée, qui menace le ciment social, il faut savoir reculer.
De Gaulle a pour sa part donné une réponse politique à la crise lorsqu’il a dissous l’Assemblée nationale en juin 1968. Eux aujourd’hui n’en ont pas. Leur logique est juste d’appliquer la checklist qui leur est donnée par le grand capital. Ils n’ont pas de lecture démocratique de la situation. C’est là qu’il y a un changement net.
“La plupart de leurs lois sont mal ficelées, pas applicables”
Que sont-ils, alors, s’ils ne sont pas des “politiques” ?
Macron et son équipe sont les courroies de transmission d’un pouvoir économique qui s’est substitué au politique. On le voit dans ses petites phrases pleines de mépris social. Jamais avant on n’avait ça. Ils n’ont plus de frein. Et c’est doublé d’un certain amateurisme, car la plupart de leurs lois sont mal ficelées, pas applicables ; ils ne sont pas capables d’aligner cinq mots pour expliquer leurs mesures. On ne peut même pas dire qu’il y a eu un renouvellement de la classe politique : ce n’est plus une classe politique, c’est autre chose.
Pensez-vous que la situation est pré-révolutionnaire ?
On ne peut savoir qu’une situation est pré-révolutionnaire que quand la révolution qui la suit a eu lieu. On est dans une situation où il y a des formes insurrectionnelles, même si elles sont plus limitées que ce que veut bien voir BFMTV. Il y a en tout cas un profond désir de changement, qui n’est pas seulement défensif : on entre dans une dynamique révolutionnaire.
“Il y a une énorme accélération des protestations sociales”
Est-ce encore une secousse avant l’accouchement révolutionnaire, ou sommes-nous dans la dernière contraction avant l’expulsion ? Je ne sais pas. Mais il y a une énorme accélération des protestations sociales depuis quelque temps. On a depuis 2016 une séquence quasi ininterrompue : Loi travail, Nuit debout, mouvement des cheminots contre la réforme ferroviaire, mouvement étudiant contre Parcoursup, Gilets jaunes, mobilisations féministes et climatiques…
Depuis deux ans, on manifeste une à deux fois par semaine. Ce n’est pas perdu. Le travail qui se fait dans chacun de ces mouvements, de conscientisation, d’apprentissage des gestes et d’un savoir-faire contestataire, finira par porter ses fruits.
Dernier ouvrage paru L’Histoire comme émancipation (Agone)
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