A l’occasion de notre numéro spécial “Comment ça va, la France ?”, l’auteur des Enfants des autres répond dans un texte exclusif à notre question.
Novembre 2016, un prof de fac à la radio : “Je me suis réveillé ce matin dans un pays que je ne connais pas. Depuis l’annonce de la victoire de Trump, j’ai l’impression de découvrir ce qu’est réellement le pays où je suis né.” Tout de suite j’ai pensé à Christophe Colomb, l’homme qui prétendait découvrir un pays habité depuis plus de quinze mille ans. Sauf que Christophe Colomb c’était il y a cinq cents ans. Et Christophe Colomb n’y vivait pas, dans ce pays. Six mois plus tard, ce serait à nous de voter. La presse française, qui pas plus que les autres n’avait su anticiper le résultat aux Etats-Unis, ne voulait pas revivre cette humiliation.
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Voilà comment on est devenus le nouveau sujet à la mode, nous la France des oubliés. D’autres nous appelaient la France silencieuse, la France muette. Partout on était qualifiés d’invisibles, de sans-grade, de déclassés, de laissés-pour-compte du capitalisme triomphant, tout un tas de mots fourre-tout et de périphrases de faux-culs pour ne pas dire prolétaires, chômeurs, pauvres. La ruralité s’est imposée comme la grande affaire du moment. Soyez les bienvenus en ruralité. J’espère que la ruralité vous plaira. Vous êtes là pour longtemps ? Et vous venez pour quoi, exactement ? Ah, pour donner la parole aux sans-voix…
Vous vous foutez pas un peu de ma gueule, par hasard ? On savait très bien ce qu’ils fabriquaient dans le coin. Ils ne venaient pas seulement à la chasse au rural, ce qu’ils espéraient attraper c’était du rural qui vote Front national. C’est vrai qu’en centre-ville l’électeur d’extrême droite est une espèce rare. Alors il fallait prendre le train pour espérer en croiser un. C’était l’occasion d’une petite aventure, d’un frisson d’exotisme social.
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Je vais parler comme un vieux : de mon temps, on effrayait les petites mamies des campagnes à base de reportages racoleurs sur les banlieues, eh bien voilà qu’on se mettait à faire peur aux jeunes citadins avec des reportages tout aussi racoleurs sur les habitants des petits patelins qui s’apprêtaient soi-disant à tous voter Le Pen. Ça a marché. La catastrophe américaine a été évitée, bien joué, beau travail.
Le nouveau président élu, on s’attendait à retomber dans l’oubli, mais ça a été pire que ça, on est devenus des “fainéants”, des “gens qui ne sont rien”, des donneurs de leçons sans diplôme. Avant d’être présentés carrément comme des sauvages sans style avec nos gilets couleur pissenlit à bandes rétroréfléchissantes, si, si, c’est le mot, qu’on arborait sur le dos tout aussi bien que sur le tableau de bord de sa Fiat Punto. Certains ont pensé nous sauver en nous qualifiant d’authentiques punks. Mais on n’en a rien à foutre d’être punk.
Plus d’un an qu’on se réveille tous les matins dans un pays qu’on ne reconnaît pas
Vous croyez que dans dix ans on achètera des gilets de sécurité chez H&M comme aujourd’hui on se jette sur les T-shirts Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols ? Ça m’étonnerait franchement. Et il faut croire que les insultes ne suffisaient pas, alors le geste a été joint à la parole. A coups de bouclier en Plexiglas et de rangers coquées dans la tronche. Enfin vous savez tout ça, on est tous au courant. On en vient presque à s’habituer à cette police qui tire à bout portant, qui tabasse, qui mutile et qui éborgne la population.
Ça fait plus d’un an que ça dure. Plus d’un an qu’on se réveille tous les matins dans un pays qu’on ne reconnaît pas. Un pays défiguré, fracassé, décomposé, pour ne pas dire éclaté en mille morceaux. Un pays où tout le monde est flippé, ça y est. Les citadins ont peur des ruraux. Les ruraux ont peur des banlieusards. Les banlieusards ont peur des flics et c’est à juste titre et ils ne sont pas les seuls. Bon, les flics font semblant de n’avoir peur de rien parce que c’est ce qu’ils ont appris à l’école, mais on sait très bien qu’eux aussi ils se chient dessus. Comment va la France aujourd’hui ? Je sais pas, à ton avis ?
Dernier livre paru Les Enfants des autres (P.O.L.)
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