Queen & Slim de la réalisatrice Melina Matsouka arrive en salle. Récit d’une cavale, il est aussi celui de la solidarité afro-américaine. Une attitude qui guide la cinéaste dans sa pratique artistique.
Quand bien même son nom vous serait inconnu, il y a fort à parier que les images de Melina Matsoukas vous soient familières – que vous le vouliez ou non. Cette cinéaste de 39 ans, qui sort cette semaine son premier long métrage, le remarquable Queen & Slim, s’est surtout illustrée, jusqu’ici, par ses clips.
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Et non des moindres : elle est, depuis quinze ans, la clippeuse de r’n’b la plus réputée, ayant travaillé pour Rihanna (We Found Love, S & M, Rude Boy), Solange (Losing You), Lady Gaga (Just Dance), mais aussi Eve, Kylie Minogue, Jennifer Lopez, Katy Perry, Ciara…
Et bien sûr Beyoncé, dont elle a plus que quiconque façonné l’image, dès l’album B-Day, pour lequel elle réalisa quatre vidéos en 2007, jusqu’à Formation, dont elle signa en 2016 le retentissant clip à La Nouvelle-Orléans. De fait, même si sa musique vous sort par les oreilles, difficile de passer à côté de la Queen B posée sur le toit d’une voiture de police à moitié plongée dans l’eau – une des images les plus iconiques des années 2010.
« Je dois évidemment beaucoup à Beyoncé », admet la réalisatrice, née la même année que sa bonne fée, en 1981. « Après la fac de cinéma (à NYU, puis à Los Angeles – ndlr), je n’avais réalisé que deux clips (pour le label de Jay Z), et elle m’a donné ma chance. Comme ça, sur un coup de tête. C’est grâce à elle que j’en suis là aujourd’hui. »
On se demande quand même ce qui a déterminé le coup de tête en question, mais on n’en saura pas plus. Car ce n’est pas pour évoquer Beyoncé que nous la rencontrons ce jour d’octobre dans un hôtel de Beverly Hills, mais pour parler de son film, Queen & Slim, dont la première publique aura lieu le lendemain, à l’American Film Institute Festival.
La première chose qui frappe, dans ce drame suivant un jeune couple d’Afro-Américains en cavale (pour avoir tué, en situation de légitime défense, un flic), c’est la solidarité qui se manifeste autour d’eux à mesure qu’ils avancent dans leur périple vers le sud des Etats-Unis.
Montrer une communauté où l’entraide existe encore
L’exaspération est telle vis-à-vis de la police américaine (« qui n’est bien sûr pas intégralement raciste, comme j’insiste pour le montrer, tempère la cinéaste, mais tout de même suffisamment pour que ne se passe pas une journée sans violence policière »), qu’une fiction mainstream, en 2020, peut revendiquer sans problème un tel geste. Sans lui adjoindre un sentiment de culpabilité. « Je voulais montrer une communauté noire solidaire où l’entraide existe encore, même si le capitalisme pousse certains à la jouer solo », précise-t-elle.
Ne lui dites pas en tout cas qu’elle a réalisé un « Bonnie and Clyde noir », comme certains critiques américains l’ont paresseusement écrit. D’abord parce que ses « personnages ne sont pas des assassins voulant semer le chaos, mais des innocents cherchant à sauver leur peau ».
Ensuite, parce que même si elle a revu le film d’Arthur Penn, elle revendique d’autres influences, toutes afro-américaines, comme Julie Dash (première cinéaste noire à avoir sorti un film en salle en 1991 : Daughters of the Dust), Hype Williams (« qui nous a montré comment rendre les Noirs beaux au cinéma »), ou la photographe Deana Lawson (qui prend des portraits des gens dans leur chambre). Quand on évoque le nom de Wong Kar-wai, cependant, elle rougit, et avoue que c’est l’un de ses cinéastes préférés, que « ses décadrages et sa façon de filmer les gens en voiture ont pu (la) marquer ».
Née dans le Bronx, élevée par des parents engagés (père grec ouvrier en bâtiment, mère cubano-jamaïcaine prof de maths), qui lui faisaient lire James Baldwin, Maya Angelou ou Karl Marx, Melina Matsoukas tient un discours résolument à gauche, liant la question identitaire à la question sociale. Cette sensibilité politique, elle a su l’exprimer dans ses précédentes œuvres de fiction, pour la télévision.
On la retrouve par exemple (de façon plus légère) dans la série Insecure, dont elle a réalisé sept épisodes, et qui raconte les galères d’une éducatrice (Issa Rae) dans un quartier pauvre de Los Angeles en pleine gentrification.
Mais aussi dans Thanksgiving, le plus célèbre (et le plus émouvant) épisode de la série Master of None, où une adolescente fait son coming-out à sa mère à l’occasion de la fête du même nom. Autobiographique, l’épisode avait été écrit par Lena Waithe, qui se trouve être la scénariste et l’initiatrice de Queen & Slim.
« La solidarité qui s’exprime dans le film entre les personnages, elle vient aussi de ce que nous essayons de créer, Lena et moi, mais aussi Issa, ou même Beyoncé : une communauté d’artistes qui nous entraidons. » Une pour toutes et toutes pour une.
Queen & Slim de Melina Matsoukas, avec Daniel Kaluuya, Jodie Turner-Smith, Bokeem Woodbine (E.-U., 2019, 2 h 12). Sortie en salle le 12 février
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